La beauté est dans les yeux de celui qui regarde. La beauté de celui qui me regarde, quant à elle, est profondément enfoncée dans mon fondement.
Auteur : Anne Archet
-
Deux-cent-quarante
Quand j’avais cinq ans – avant même que le mot furry n’existe – je voulais marier Tony, le tigre des Frosted Flakes. Je ne me doutais pas à l’époque que tous ces petits déjeuners équilibrés allaient, quelques décennies plus tard, faire de moi une cougar.
-
Deux-cent-trente-neuf.
Je le regarde se masturber sous la douche. C’est toujours le même rituel: eau chaude et savon non parfumé. Ses doigts sont longs, minces et couleur café. Il travaille son manche avec désinvolture et dextérité, on croirait un guitariste en plein solo . Au moment de jouir, son sourire reste calme et entendu.
Les serviettes sont blanches. La porcelaine est froide sous mes fesses nues. Ma volonté est en miettes, éparpillée sur le carrelage de céramique.
-
Deux-cent-trente-huit
Le premier baiser est tendre et léger. Elle semble très nerveuse. Peut-être même effrayée.
Le second est plus long, plus profond, plus langoureux. Elle se laisse aller.
C’est au tour de son mari de s’affoler.
-
Deux-cent-trente-sept
Un type avec qui j’avais discuté au bar d’un club libertin est venu frapper à la porte de mon voisin d’en face en compagnie d’une jeune femme que je ne connaissais pas. Je les ai vus de ma fenêtre : il était tout de noir vêtu. Elle portait quant à elle une jupe grise déraisonnablement courte et un chemisier bleu échancré. Une barrette bleue retenait ses cheveux, sur le côté gauche.
Personne n’a répondu et ils s’en sont allés. Je me suis demandée s’ils ne s’étaient pas trompés d’adresse et ce n’était pas plutôt moi à qui ils venaient rendre visite. J’en aurai jamais le cœur net, je lui ai donné un faux numéro.
-
Deux-cent-trente-six
— Et la sodomie?
— Quoi, la sodomie?
— Ben… le sex anal. Tsé.
— Tu veux savoir comment ça s’est passé la première fois que je l’ai fait?
— Voui.
— Ça t’excite, quand je te donne tous ces détails, avoue…
— Bien sûr. Sinon, je ne te les demanderais pas. Tu sais que je suis voyeuse… même de l’oreille.
— Tu es une écouteuse, donc.
— On ne peut rien te cacher, chérie. Alors? Comment c’était la première fois que tu t’es fait enculer?
— Tu vas l’écrire dans ton carnet incarnat ?
— Si c’est un bonne histoire, oui.
— Si ça ne l’est pas?
— J’ajouterai des détails scabreux.
— Ok, alors. C’était l’été, entre ma première et ma seconde année au cégep. Je travaillais pour la ville, à l’entretien des aménagements floraux. Ce soir-là, j’étais sortie faire la fête avec les étudiants qui travaillaient avec moi. C’était chez l’un d’eux, ses parents étaient partis au chalet, alors on avait la maison, la cour et la piscine à nous tout seuls.
— Je devine que la soirée était bien arrosée, pas juste grâce à la piscine…
— Tu l’as dit, ma vieille. On était tous pas mal pompette. En tout cas, moi je l’étais presque autant que… ce soir!
— Ha! Tu veux encore du vin?
— Je pense que la tête me tourne assez comme ça, merci. Bref, on était tous pas mal imbibés et il y avait ce gars, un grand blond qui s’appelait Tommy, qui a mis son bras autour de moi et qui a murmuré à mon oreille que j’avais un joli cul, que je le faisais bander, qu’il connaissait un coin tranquille et qu’il aimerait bien me bourrer solide.
— Tout un Don Juan. Et quelle subtilité dans l’approche.
— Je lui ai répondu que sa petite bite molle ne m’intéressait pas et que je ne serais jamais assez saoule pour avoir l’inconscience de le laisser limer mon précieux popotin.
— Et?
— Bah. J’ai continué à boire et j’ai fini par me retrouver dans un minuscule lit, avec sa langue qui glissait dans la raie de mon cul.
— Maudite boisson.
— J’étais complètement paf et molle comme une chiffe une fois arrivée au lit. J’étais à moitié nue et j’étais trop saoule pour enlever mon pull; il restait accroché sur le dessus de ma tête et ça me faisait rire aux éclats comme une idiote. Lui, m’a embrassé et a tiré mon soutien-gorge vers le haut, puis a léché mes seins. J’étais tellement bourrée que je le laissais faire tout ce qu’il voulait. Il a fini par me retourner et j’ai senti sa bite glisser entre mes fesses.
— Bonjour le consentement.
— Tu sais quoi? J’étais consentante. J’étais toutefois tellement ivre que je n’arrivais pas à m’exprimer autrement que par des gloussements d’ébriété.
— Ça ne reste pas très responsable de sa part. Il n’avait aucune façon d’être certain de la validité de ton consentement.
— Meh. C’est quand même ce qui s’est passé. Ce n’était pas un viol, hein.
— Tant mieux si tu t’en es sortie sans être blessée et meurtrie.
— Non, pas blessée du tout. Je n’ai même pas souvenir d’avoir eu mal. Avec tout l’alcool que j’avais ingurgité, je ne pouvais qu’être très détendue. Ça n’a pas duré très longtemps : il a grogné, gémi, il a marmonné un commentaire sur le fait que j’étais serrée et il est venu.
— Tu as eu du plaisir?
— Ça ne m’a pas déplu… mais je suis tombée dans les vapes assez rapidement.
— Finalement, comme première fois, ça aurait pu être pire.
— Lorsque je l’ai revu, la semaine suivante, il était très poli avec moi, presque timide. On l’a refait, cette fois-là à jeun, lui en dessous et moi au-dessus. Je frottais mon clitoris contre son ventre. C’était hot.
-
Deux-cent-trente-cinq
Une goutte de foutre accrochée à la lèvre qui tombe sur un sein, puis sur le ventre et qui zigzague vers le bas, comme si elle cherchait à se rendre à la maison.
-
Deux-cent-trente-quatre
Tu tiens ma tête entre tes cuisses comme la barre d’un navire qui tangue dans la tempête. Les embruns de ton plaisir fouetteront bientôt mon visage.
-
Deux-cent-trente-trois
Encore au club échangiste, ces deux-là sont septuagénaires et je n’arrive pas à détourner le regard de leurs étreintes : trou hoquetant, cheveux épars, vertèbres et côtes saillantes, cul et ventres moulus dans une baise sans fin, cadavres en sursis s’entrechoquant et remuant leur carcasse livide. Soudain, l’éclairage change un peu et j’entrevois la jeunesse et la beauté éternelle de l’amour, comme une illumination divine.
-
Deux-cent-trente-deux
Elle, béante et offerte, se caresse avec grâce, soupire, chantonne, sursaute un peu. Elle a gardé ses socquettes blanches. Lui, béat, l’encule en ahanant. Il a gardé son manteau et ses bottes. Il y a une flaque de gadoue sur le plancher. Dehors, il fait aussi froid que dans mon cœur.
-
Deux-cent-trente-et-un
— Quelqu’un t’accompagne à la soirée, vendredi?
— Je te vois venir avec tes gros sabots. Épargne ta salive, c’est non.
— Un gars s’essaie, hein.
— Pour tout dire, je pensais inviter Édith.
— Édith-la-salope ?
— Hey ! Qu’est-ce que c’est que ce langage de macho à la noix ?
— Je n’ai strictement aucun préjugé envers les salopes, tu sauras. Je ne fais pas de slut shaming ; je fais plutôt du slut worshipping. Et puis, si je n’aimais pas les salopes, jamais je n’aurais envisagé de t’inviter à la soirée.
— Parce que moi aussi, je suis une salope ?
— La reine des salopes. Prends-le comme un compliment, parce que c’en est un.
— Je suis prête à admettre que je suis une salope, mais Édith, franchement…
— Je vous ai vus ce matin, déjeunant les yeux dans les yeux… ne me dis pas que tu es amoureuse
Édith était la seule autre personne matinale de ce tout inclus tropical où je m’étais impulsivement retrouvée après une crise aiguë de ras-le-bol contre l’hiver. Je la voyais chaque matin dans la salle à manger de l’hôtel et nous ne faisions qu’échanger des sourires furtifs et polis. Il m’avait fallu quatre jours pour avoir le cran de m’inviter à sa table.
— Il se trouve que j’aime avoir de la compagnie quand je mange et que vous êtes toujours trop saouls, tous autant que vous êtes, pour vous lever à une heure raisonnable.
— Pffff. Je parie que tu penses à déguster autre chose que des toasts au beurre de pinotte quand tu es avec elle, Anne-la-salope.
— Arrête de m’appeler comme ça, crétin… Qu’est-ce que tu fais ?
— Je l’appelle, tiens. Ça n’a pas été bien difficile d’obtenir son numéro de cell, imagine-toi.
— Je…
— Yo Édith ? C’est Mike. Comment va ?… Ouais… Écoute, je suis avec Anne, ta copine de déjeuner, au bout de la plage, tu sais, près de la crique, à l’écart… On siffle quelques bières ; ça te dirait de te joindre à nous? C’est que j’ai quelque chose à te demander… Oui… Oui… Vers deux heures ? Super. Ok, à tantôt. Bye !
— Veux-tu bien me dire ce que tu as en tête?
Il se tourna vers moi et me dit, avec son air d’abruti triomphant:
— Je vais me la taper devant toi, ici, sur la plage, devant toi. Tu vas voir.
— Pfff. Je vais plutôt voir si l’eau est bonne.
J’enlevai mon paréo et marchai jusqu’à la mer. L’eau était froide et les vagues peu vigoureuses. Je fis quelques brasses, nageai un peu sur le dos, puis me laissai un peu bercer par la houle. Quand je sortis de l’eau, Édith était là, debout en face de Mike, dos à la mer. Je m’approchai d’eux.
— La voilà qui revient ! s’écria Mike, assis comme un prince dans sa chaise de plage.
— Salut Anne ! me dit Édith en se retournant vers moi.
Je pris ma serviette et m’essuyai le corps et les cheveux.
Le vent fouettait ses longs cheveux dorés qui flottaient autour de son visage. Elle portait un maillot sport deux pièces – pas un bikini, plutôt un costume de volleyeuse de plage. Elle le portait sacrément bien, d’ailleurs. Sa peau portait le hale de la fin des vacances et ses mamelons pointaient légèrement à travers l’élasthanne du soutien-gorge.
— Je me rendais à la piscine avec Catherine quand ton chum m’a téléphoné.
— Ce n’est pas mon « chum », protestai-je faiblement.
Je lui souris timidement et haussai les épaules. Elle plissa le nez de façon malicieuse.
— Hey Édith… dit Mike. Je t’ai appelée parce que je me demandais si tu avais envie de baiser.
— De baiser?
Ses yeux s’écarquillèrent.
— Ouain, tsé. Baiser.
— Comme ça ? Sur la plage ?
— Pourquoi pas ?
Il sourit et écarta ses cuisses velues comme un ours. Nous pouvions toutes deux voir la bosse dans son short de bain. Elle me regarda de nouveau, je haussai encore les épaules.
— Et bien… est-ce que tu es un bon coup, au moins ?
Il éclata de rire.
— Bébé, je suis le meilleur.
Il tortilla sur cul sur la chaise et fit glisser son short jusqu’à ses chevilles. Sa queue à moitié bandée reposait sur sa cuisse.
— Elle n’est pas bien grosse, dit Édith, les mains sur les hanches et le bout de la langue passant distraitement sur ses lèvres.
— T’inquiète pas, elle va grossir, grogna Mike en faisant courir ses mains épaisses contre ses cuisses poilues.
— Et qu’est-ce qui pourrait la faire grandir ?
Elle s’avança et jeta une de ses longues jambes bronzées par-dessus les genoux de Mike, pour l’enfourcher. Un bras de chaque côté de la tête de l’homme, elle agrippa le dossier de sa chaise. Il osa à peine la regarder dans les yeux. Mike a beau être un trou du cul, reste que c’est aussi un sentimental.
Ils restèrent immobiles un long moment, leurs corps plaqués l’un contre l’autre et leurs visages caressés dans le vent salin. Soudain, elle l’embrassa légèrement sur le côté de la bouche, puis elle l’embrassa à nouveau, un peu plus fort. Et une troisième fois, les yeux fermés. Il posa une main derrière la tête d’Édith. Leurs lèvres étaient ouvertes et luisantes de salive. Je vis que sa bite se raidissait. Édith ouvrit les yeux et recula en souriant, à bout de souffle et le rouge au front.
Édith tendit une main vers le bas et enroula ses doigts autour du sexe rigide. Elle me regarda de nouveau en souriant bizarrement, on aurait cru qu’elle cherchait à obtenir mon approbation. J’opinai donc de la tête et admirai son corps et son visage. Une étrange sensation de chaleur déferlait en moi. Elle ferma les yeux et l’embrassa de nouveau, glissant sa langue dans sa bouche ; quant à Mike, il caressait de ses mains énormes la poitrine de son amante et pinçait de temps à autre ses mamelons. Il finit par glisser ses mains sous le haut de son maillot.
Il tira le tissu vers le haut et libéra les seins. Il les pelota tout en baisant délicatement les paupières d’Édith qui poussa un profond soupir. Elle se dégagea de son étreinte et se releva.— Ok, dit-elle. Je crois que tu peux me baiser. Tu as une capote ?
— Anne en a une. N’est-ce pas, Anne ?
Pendant que je fouillais dans mes affaires pour trouver un condom, elle fit glisser gracieusement le bas de son maillot le long de ses jambes fuselées, le plia soigneusement et le rangea dans mon sac de plage. Elle retira ensuite le haut, découvrant ainsi complètement ses seins. Lorsque ce fut fait, elle prit le condom que je lui tendais en souriant, le déroula sur la queue de Mike, puis se rassit sur ses genoux, face à lui, la base de sa bite nichée dans la fourrure de son entrecuisse.
— Vas-y lentement, je ne suis pas très mouillée.
— Qu’est-ce qui te ferait mouiller? demanda-t-il d’une voix étrangement gutturale, en caressant les seins d’Édith à pleines mains.
Elle voûta son dos pour mieux s’offrir à la caresse et il en profita pour embrasser son cou. Il ouvrit sa bouche, et se mit à sucer le mamelon gauche du bout de ses lèvres. Elle haletait et agitait ses hanches, se frottant contre la verge gonflée. Il embrassa l’autre sein et mordilla le mamelon. De ses mains, il caressa les épaules et la nuque d’Édith dont le corps ondulait rythmiquement sur ses genoux.
— Bon, ok, ça va… Je mouille en masse maintenant, dit-elle en soupirant.
Elle posa encore sa main entre eux et se souleva juste assez pour que le bout du pénis puisse glisser dans l’obscurité de ses cuisses. Il grogna et saisit les bras d’Édit des deux mains. Elle se laissa choir lentement, laissant ainsi le pieu frayer un passage dans les replis brûlants de sa chair. Lui, soupirait, bouche ouverte.
Ils se mirent à baiser avec une lenteur presque insoutenable pour la spectatrice que j’étais, en s’embrassant les joues et la bouche, en haletant et en prononçant des paroles délirantes qui se perdaient dans le vent marin. Quelques instants avant de jouir, elle ouvrit les yeux et me regarda, le visage en feu et extatique. Ma chatte était humide, elle palpitait dans mon maillot, mais je me suis bien gardée d’y glisser les doigts. Je me mordais les lèvres quand elle me regarda. Elle ferma les yeux de nouveau et attrapa Mike par le cou comme le ferait une noyée à une bouée lorsqu’elle sentit monter l’orgasme en elle. Lui, prit ses fesses et les pétrit. Elle cria et se raidit lorsqu’il grogna et éjacula son foutre en elle.
Elle l’embrassa une dernière fois, longuement, langoureusement, puis tira lentement ses hanches vers l’arrière, jusqu’à ce que la bite baveuse glisse hors d’elle. Elle se leva, les jambes un peu tremblantes, elle récupéra le bas de son maillot, nous sourit, puis s’en fut sur la plage. Nous la regardâmes enfiler son costume en marchant pour ensuite plonger dans les vagues. Mike eut un soupir de contentement. Quant à moi, le grognai de déplaisir et retournai sans mot dire à ma chambre où m’attendait mon vibro et un peu de soulagement.
— Tu penseras à mon offre pour vendredi ! me dit Mike dès que j’eus le dos tourné.
Je n’eus même pas la politesse de me retourner pour lui tendre mon majeur. Qu’il aille se faire foutre, ce trou du cul sentimental.
Lorsque je m’éveillai le lendemain matin, je ne savais pas si elle serait au petit déjeuner. Mais elle y était et je me suis assise à sa table. Nous avons bavardé, comme d’habitude. Et j’ai trouvé que de l’avoir vu nue, que d’avoir vu la bouche de Mike sur ses seins, que d’avoir vu son cul se tordre alors qu’elle se faisait sauter par ce fâcheux, que tout cela ne signifiait tout compte fait pas grand-chose. Ce que je voulais d’elle allait au-delà de tout ça. Je désirais quelque chose de plus profond.
Quelque chose qu’une bite ne peut jamais atteindre.
-
Deux-cent-trente
Il a voulu que mes vêtements tombent et ils sont tombés. Il a voulu que mes doigts me pénètrent et ils m’ont pénétrée. Il a voulu que des objets entrent dans mon cul et ils y sont entrés. Il a voulu que je lèche ses pieds, ses couilles puis son gland et je les ai léchés. Il a voulu que je répète en m’astiquant le clitoris : « Je suis ton esclave, prends-moi, encule-moi ! »
J’ai fait tout ça – et d’autres choses encore. Demain est un jour pair, alors ce sera à mon tour de commander et je vous assure que je vais être particulièrement cruelle, parce que je viens de réaliser qu’il y a plus de jours impairs dans une année et qu’il m’a vilement escroquée.
-
Deux-cent-vingt-neuf
— Ma langue et ma queue se disputent la première visite dans ta chatte…
— Pourtant, c’est la seconde venue qui rafle tout, non? -
Deux-cent-vingt-huit
J’ai acheté des draps noirs, pour que nous puissions mieux voir les reliefs de notre amour.
(Pour voir s’il sait convenablement faire la lessive, aussi.)
-
Deux-cent-vingt-sept
Elle a tressé une laisse avec ses mots et maintenant qu’elle me l’a passée autour du cou, elle peut faire de moi tout ce qu’elle veut.
-
Deux-cent-vingt-six
À la fin de la soirée au club échangiste, elle revient à l’étage me chercher et tente de déchiffrer les traces de foutre sur mon ventre comme un haruspice penché sur les entrailles fumantes de la bête sacrifiée.
-
Deux-cent-vingt-cinq
Chaque soir, je me couche sur le ventre, le popotin bien relevé, et offre ma cible à la flèche de cupidon. Hélas, c’est rarement la Saint-Valentin.
-
Deux-cent-vingt-quatre
Elle revient de chez son amant. Je pose ma langue partout où il est passé, dans l’espoir que la salive apporte l’oubli.
« Il y a un coin que tu oublies toujours et ça mènera à ta perte » me dit-elle, mi-figue mi-raisin.
-
Deux-cent-vingt-trois.
À notre troisième rencontre, il m’explique que selon lui, amour et sexe ne font pas bon ménage. « Comment vais-je réussir à te culbuter par surprise si tu me regardes toujours dans les yeux avec cet air pâmé ? »
-
Deux-cent-vingt-et-un.
Nous sirotions toutes deux un latte lorsque qu’elle aperçut une de nos connaissances communes, une jeune femme toute blonde et toute menue qui nous sourit et nous salua de la main avant de quitter le café en coup de vent.
— Quand même, quelle slut… me dit-elle avec une moue dédaigneuse.
— Tu crois?
— J’en suis sûre. Ça se voit dans ses yeux.
— C’est drôle que tu en parles. Pas plus tard qu’hier, Marie ne tarissait pas d’éloges à son sujet. Elle me disait à quel point elle était gentille, serviable et raisonnable, à quel point elle aurait voulu qu’Anaïs, son ex, soit comme elle…
— Pfff. On voit bien que Marie ne l’a jamais vue à genoux derrière le comptoir du bar avec la queue d’un parfait inconnu dans la bouche.
— Oh !
— Et qu’elle ne l’a jamais vue se pencher, le chemiser ouvert, devant un groupe d’adolescents, en pinçant ses mamelons et en se léchant les lèvres d’un air lubrique.
— Vraiment ?
— Elle ne l’a pas vue non plus sans sa culotte, couchée sur le dos les jambes en l’air sur le parquet, s’offrant à tous les hommes qui veulent bien d’elle et qui rigolent en se rebraguettant après lui avoir rempli la plotte de foutre.
— Et bien ça, alors…
— Et je parie que Marie ne l’a jamais vue jouir, la bave coulant sur ses joues comme une possédée, les yeux révulsés et les jambes s’agitant dans tous les sens, un juron à la bouche et une pine enfoncée dans son cul.
— Tu as vraiment tout vu cela ? lui demandai-je, incrédule.
— Je te l’ai dit : ça se voit dans ses yeux, me répondit-elle avant d’avaler d’un trait son café refroidi.
-
Deux-cent-vingt.
Un parfait inconnu me contacte sur Messenger.
— Salut. J’ai un fleshlight.
— Han ?
— Un pocket pussy. Un sextoy en forme de vagin, quoi.
— Et alors ?
— Et… tu dois certainement avoir de ton côté des dildos… des vibros… ?
— Évidemment. Où veux-tu en venir?
— Ben… Je me disais que je pourrais venir chez toi et nous pourrions aller dans ta chambre et là, tu pourrais glisser ton dildo dans mon pocket pussy. Ensuite, on les laisserait faire leur petite affaire pendant que dans la pièce d’à côté, on prendrait le thé en discutant esthétique et philosophie… qu’est-ce que tu en dis?
— J’en dis que le romantisme n’est pas tout à fait mort.
-
Deux-cent-dix-huit.
Le lendemain d’une autre nuit où je l’ai amenée, en laisse, se faire baiser par des inconnus soigneusement triés sur le volet, nous prenons le petit déjeuner. En la voyant grignoter à petites bouchées son pain sans gluten tartiné de beurre de noix d’acajou, je la revois mentalement il y a quelques heures à peine, couchée sur une table, satisfaisant quatre types à la fois. Muscles secs et os, elle s’agrippait à eux, ils la malaxaient et l’embrochaient à tour de rôle. Elle adore qu’on la traite comme un bout de viande, comme un morceau de carne qu’on ficelle et pétrit avec de larges doigts de charcutier.
Il faudra que je lui rappelle ces épisodes de boucherie intime la prochaine fois qu’elle me sermonnera au sujet des vertus du véganisme.
-
Deux-cent-dix-sept.
Elle est nue, couchée sur le ventre, le cul bien relevé. Il la baise lentement, méthodiquement pendant qu’elle soupire, le visage écarlate. C’est à ce moment qu’il est frappé à la fois par l’évidence de sa condition de mortel et par sa connexion intime avec la fibre de l’univers, une seconde à peine avant de basculer dans l’orgasme.
Quant à elle, c’est le fait qu’elle ne savait plus si elle avait pris ou non sa pilule ce matin qui occupait son esprit.
-
Deux-cent-seize.
Il me laisse le regarder. Il me laisse m’étendre près de lui. Il me laisse mettre ma main dans ses cheveux. Parfois, il me laisse l’embrasser, mais jamais plus.
« J’ai la vie sexuelle d’un ours en peluche », m’a-t-il un soir expliqué. « Tu ne dirais pas ça si tu savais ce que je faisais avec le mien quand j’étais adolescente » lui ai-je répondu.
-
Deux-cent-quinze.
Je suis juchée sur la première marche de l’escalier, il est derrière, debout, en bas, profondément fiché en moi, immobile comme la statue du commandeur. Saillie des tendons, tension insoutenable.
-
Deux-cent-quatorze.
Après avoir envoyé des centaines de CV à la con, après avoir fait le pied de grue comme une dinde au salon de l’emploi, je n’ai pas été convoquée à la moindre entrevue. Maintenant, il ne me reste que trente dollars en banque et huit semaines d’assurance emploi. Après, ce sera l’aide sociale, le pawnshop et la banque alimentaire. Mais en attendant, je me réveille la main sur sa queue, bien au chaud dans les draps propres du lit que je n’ai pas encore fini de payer. Il est censé se réveiller dans cinq minutes, alors j’enlève l’alarme du réveille-matin et je laisse traîner mes doigts le long de son sexe si doux et si familier, pour le sentir s’éveiller et durcir.
Si j’avais un job, je ne serais pas aussi déprimée, je vous l’accorde. Mais d’un autre côté, je n’aurais pas le loisir de rester au lit, de soulever la couverture et de profiter un peu de cette matinée froide et obscure d’hiver, alors disons que ça s’égalise – enfin, c’est ce que je me dis. Il est à moitié bandé et endormi, c’est ma chance de profiter un peu de ce que la crise économique a de meilleur à offrir. Je presse mon nez contre son sexe et je me vautre dans le parfum de queue somnolente. Ensuite, je le suce un peu pour couvrir son gland de salive, jusqu’à ce qu’il soit si dur qu’il ne puisse pas pisser même s’il trouve le courage de se lever et de se rendre aux toilettes. Certains matins, lorsque je lui saute dessus avant qu’il n’ait eu le temps d’aller faire sa petite affaire, une minuscule goutte perle de son méat. Traitez-moi tordue si ça vous chante, mais moi, j’adore ça. Rien ne m’excite plus qu’un peu de pisse coulant sur ma langue; il faut savoir apprécier les joies simples de la vie quand on est cassée comme un clou.
Ma chatte est humide, elle a besoin d’amour, d’attention et de friction. Elle est si en chaleur qu’elle ronronnerait presque. Je décide donc d’adopter une position de haute voltige qui me satisfera autant que lui. Je place sa queue entre mes seins et je me penche un peu. Dans cette position, je peux enfourcher sa jambe et me donner un peu de plaisir en le branlant. Le tout demande de la coordination : un coup de bassin pour moi, un coup de poitrine pour lui. Je lui donne même quelques coups de langue occasionnels sur le gland, histoire de lui faire perdre la boule. Je suis douée pour les chorégraphies amoureuses complexes en j’en suis fière; je l’ai même écrit dans la section «autres intérêts personnels» de mon curriculum vitae.
Un sourire se dessine sur son visage pendant que je caresse son ventre. Nous savons tous deux qu’il fait semblant de dormir, ce qui fait de moi une complice dans le crime qui se déroule dans ma chambre à coucher et qui mènera à son arrivée en retard éventuelle au boulot et peut-être, avec un peu de malchance, à son renvoi. Mais pour l’instant, je m’en fous. Qu’il le perde, son job; peut-être acceptera-t-il enfin de venir vivre avec moi lorsque nous partagerons le même malheur… J’adore la sensation de mes mamelons qui frottent contre ses cuisses quand j’étire le cou pour prendre sa bite dans ma bouche. J’emploie un max de salive pour la rendre bien glissante, puis je la replace bien au chaud entre mes seins. Je frotte ma fente contre sa jambe, d’abord lentement, puis plus vite. Fuck! Qu’est-ce que c’est bon… je vais jouir bientôt et il faut absolument qu’il vienne lui aussi.
La mission est moins simple qu’elle en a l’air. C’est qu’il est vraiment doué pour se retenir, c’est sûrement pour cela qu’il a encore un job. Je n’ai hélas pas ce talent et c’est peut-être pourquoi j’ai perdu le mien. Je n’ai aucun self control en présence d’un joli garçon et ça me fait faire des bêtises. Quand il me touche, je décolle comme une fusée jusque dans la stratosphère en moins de temps qu’il ne le faut pour crier «noune». Bizarrement, quand il est parti travailler et que je suis seule à la maison en compagnie du site web d’Emploi Québec, je deviens une peine-à-jouir qui se fait vibrer jusqu’à l’engourdissement pour s’arracher un petit orgasme de rien du tout. La vie est aussi cruelle que le marché de l’emploi.
Cette fois-ci, il me laisse faire tout le travail, ce qui, vous l’avouerez, est le comble pour une chômeuse. J’y mets donc tout le zèle dont je suis capable et je bave comme une gamine affamée sur son sucre d’orge. J’écarte mes cuisses tout juste assez pour pouvoir frotter mon clito contre sa peau. Je sens alors sa main sur ma tête. Il ne fait plus semblant de dormir, le salopard. Ce simple toucher est tout ce qui me manquait pour me faire basculer dans l’orgasme. Je jouis en éclaboussant sa jambe de ma mouille.
Visiblement, monsieur n’a pas conscience d’être désormais définitivement et irrémédiablement en retard. Il me bascule le dos et me pénètre sans ménagement, en plantant dans mes yeux un regard dur de mâle alpha, aussi dur que l’outil qu’il fait aller et venir en moi. Le matelas grince et le lit craque. Quand je pense qu’ils appartiennent aux trois quarts à la Mastercard… Son rythme s’accélère, il me besogne consciencieusement, ses traits se crispent, plus il jouit en ahanant.
Le calme après l’éjaculation est de courte durée. «Shit! J’ai manqué mon bus!» crie-t-il en sautant hors du lit avant même de débander. Je l’entends courir d’un bout à l’autre de l’appartement en se plaignant de la tempête de neige et du manque de lait dans le frigo. Qu’il aille au diable, ce prolétaire. En ce qui me concerne, je vais laisser traîner mon derrière d’assistée dans l’édredon encore une heure ou deux, peut-être trois. Ensuite, je me branlerai en regardant Porn Hub, si mon accès internet n’a pas encore été coupé. Les temps sont durs pour les filles comme moi.
-
Deux-cent-treize.
Fuir les humains – ces brutes – et refaire ma vie avec un loup, voilà ce qui me plairait. Mais pas n’importe quel loup galeux ; non, ce qu’il me faudrait c’est un animal intelligent, beau, noble et calme, au pelage luisant et aux crocs acérés. Je le prendrais tout petit et je lui apprendrais tout, à se satisfaire sans tacher la moquette, mais surtout à me satisfaire moi. Un loup assez sauvage pour avoir un caractère impétueux, mais aussi assez domestiqué pour aimer sa maîtresse, fourrer son nez partout et la lécher au bon endroit, au moment opportun.
Je ne serais pas ingrate. Pour lui payer toute la viande fraîche bio et sans OGM dont il a besoin, je vendrais les vidéos de nos ébats sur le dark web.
-
Deux-cent-douze.
Chez Foreskin Farms ™, nous croyons en une alimentation éthique et respectueuse de l’environnement. C’est pourquoi tous nos produits sont d’origine locale et élevés sans cage.
L’avenir des protéines est ici, chez Foreskin Farms™.
-
Deux-cent-dix.
Compte tenu du peu de temps dont nous disposons, je ne peux m’expliquer son silence. Nous devrions déjà être nues, en sueur, hirsutes et hurlantes à l’heure qu’il est.
-
Deux-cent-neuf.
Le dernier homme qui m’a fait la cour de façon assidue était le type qui tondait la pelouse derrière chez moi l’été dernier. Jamais cour et cour n’ont été aussi bien faites.
-
Deux-cent-sept.
Quand finalement elle se lève : pantalon diaphane laissant suggérer un string blanc — parfait. Quelques secondes de grâce dans une existence autrement grise et aliénée.
-
Deux-cent-six.
Je m’éveille, le visage taché de sperme séchée. Elle est au-dessus de moi et me dévisage. « Mais… qu’est-ce qu’ils ont fait à ta bouche ? », me dit-elle sur un ton navré.
-
Deux-cent-cinq.
Sur le parquet, ils s’enculent tous devant moi comme des chiens – comme des chiens qui imitent les hommes.
-
Deux-cent-quatre.
Lorsqu’elle marche, ses cuisses se touchent et font un doux bruit de frottement soyeux — et ça suffit pour la rendre émouvante, désirable.
-
Deux-dent-trois.
– Passe-moi le flousteneur, Anne.
Ledit flousteneur est un étrange outil métallique, avec une multitude de lumières clignotantes et de longs câbles informatiques qui le relient au plafond. Tout près de moi, les cheveux tirés vers l’arrière et retenus par l’élastique de ses lunettes de sécurité, elle manipule un petit fer à souder et trace un labyrinthe de sillons sur l’immense cylindre cuivré installé sur la table, devant nous.
Je me rends compte soudainement que je n’ai aucune idée de ce que nous faisons et surtout de ce que je suis censée faire. Après lui avoir donné le flousteneur, je pose mes mains sur le cylindre. Il est chaud, sa texture est étrangement soyeuse et je sens comme une pulsation à sa surface.
Elle mord sa lèvre inférieure, puis soupire en maugréant. Elle semble vraiment contrariée. Mais ce n’est qu’au moment où je m’aperçois qu’à part les lunettes, nous sommes toutes deux nues comme au premier jour, ce n’est qu’à ce moment précis que je comprends finalement que le cylindre est, de toute évidence, un pénis géant.
« Quel soulagement ! » me dis-je tout juste avant de m’éveiller.
-
Deux-cent-deux.
Comment rester stoïque lorsque le client qui vous apporte un texte à réviser ne cesse de dire « Nos verges » plutôt que « Norvège » ?
-
Deux-cent-un.
— Ne touche jamais à ça !
Je retirai prestement ma main, tremblante de frayeur. Jamais ma grand-mère, d’ordinaire si douce et gentille, ne m’avait parlé de cette façon.
La pièce était remplie de livres, les étagères lourdement chargées touchaient le plafond. Il y en avait sur sa table de travail, sur les fauteuils, sur le bord des fenêtres, des pyramides de bouquins encombraient le plancher de son bureau. Pourquoi celui-ci était-il caché dans le tiroir ? La curiosité étant plus forte que la peur, j’osai lui demander :
— Pourquoi ?
— Parce que je le dis !
J’avais beau n’être qu’une gamine de dix ans, je savais quand même pertinemment que cet argument ne tenait pas la route. Elle l’avait toutefois sifflé d’une façon si sèche et catégorique que jamais n’aurais-je osé répliquer.
Le mystère du livre interdit resta entier pendant quelques années, jusqu’au lendemain des funérailles de ma grand-maman, quand je me rendis chez elle pour récupérer le contenu de sa bibliothèque, la part d’héritage qu’elle m’avait légué par testament. Mes mains tremblaient comme si j’étais encore une gamine lorsque j’ouvris le tiroir du bureau. « Prends tous les livres que tu veux », me dit maman, mais en vérité, il n’y en avait qu’un seul qui m’intéressait.
Ce n’était pas un journal intime, comme je l’imaginais à dix ans, ou encore des Cent vingt journées de Sodome, comme je le pensais beaucoup plus tard. Il s’agissait plutôt d’une belle édition reliée de cuir outremer des Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs. Sur la page de garde, on pouvait lire cette dédicace à la calligraphie élégante :
L’amour suffit pour justifier une existence entière
Même si cet amour, impossible
Ne pouvait que se terminer dans les larmes
À toi, pour toujoursAlexandra
En ouvrant le livre, une dizaine de feuillets tombèrent sur le sol. Ils n’étaient pas signés, mais étaient couverts de la même écriture que la dédicace et racontaient dans ses moindres détails une rencontre intime entre deux femmes. Malgré un vocabulaire un peu vieillot et un style maladroit, le texte était puissamment érotique. Tout – mais absolument tout – y était raconté dans ses moindres détails, de la façon qu’elles s’embrassent aux positions acrobatiques qu’elles adoptent, du goût acidulé de la cyprine à la texture des nymphes, du mouvement des langues, des doigts et des bouches jusqu’à la puissance des orgasmes. Les deux protagonistes s’adonnaient aussi à des trucs que dans ma grande naïveté je ne soupçonnais pas qu’on puisse faire (et que jamais je n’aurais pu croire que mon aïeule pratiquait), comme l’anilinctus et le fist vaginal. Bref, c’est pornographique et hardcore à souhait – et daté du 8 juillet 1951.
Je jetai un coup d’œil furtif pour m’assurer que ma mère n’était pas dans les parages, cachai le bouquin dans le fond de la boîte, sous les œuvres complètes de Paul Valéry et m’enfuis comme une voleuse.
Plus tard, les yeux remplis de brouillard, j’aidai ma mère à emballer les vêtements de ma grand-mère. La curiosité étant plus forte que le chagrin, je lui demandai :
— Grand-maman était encore jeune quand grand-papa est mort. Pourquoi ne s’est-elle jamais remariée ?
— Elle était inconsolable, ma chérie.
— Ah. Et l’amie de grand-maman, celle qui nous recevait l’été à son chalet… comment elle s’appelait, déjà ?
— Alex.
— Elles se connaissaient depuis longtemps ?
— Depuis la petite école, je crois. Elle ne m’en parlait pas beaucoup.
— Tu sais si elle est toujours vivante ?
— Je ne sais pas. Pourquoi toutes ces questions ?
Je contemplai tristement les maigres possessions de ma grand-mère pendant quelques instants, puis répondit :
— Parce qu’elle m’a transmis une partie de mon héritage.
-
Deux-cent.
Crois-tu vraiment que tous ces organes qui fonctionnent en silence, en secret, que je dois nourrir et entretenir, existent dans l’unique but de te les offrir pour ton plaisir ?
-
Cent-quatre-vingt-dix-neuf.
Je regarde les petites gouttes sur sa peau se joindre pour créer de petits ruisseaux de sueur. C’est encore mieux qu’une fenêtre, un jour de pluie.
-
Cent-quatre-vingt-dix-huit.
Tu es si fier de ton dard, de ton aiguillon, mais en réalité, tu n’es qu’une nuisance, une écharde enfoncée dans ma chair : je t’ai dans la peau.
-
Cent-quatre-vingt-dix-sept.
« Tu ferais un très mauvais médecin, tu n’arriverais jamais à prendre mon pouls; mon cœur n’est pas entre mes cuisses. »
-
Cent-quatre-vingt-seize.
Contente-toi de me baiser éperdument— peut-être plus tard je te dirai si c’est l’amour que nous avons fait.
-
Cent-quatre-vingt-quinze.
Constat à l’amiable : l’incident s’est produit à 23h30 dans le parking du Costco. Queue ramollie et gluante. Poitrine zébrée de longues estafilades. Épaules et cou arborant quelques morsures – traces de mon passage.
-
Cent-quatre-vingt-quatorze.
Elle me regarde sucer goulûment une pine, comme un sucre d’orge. « Hmm… ça a l’air bon ce que tu manges », me dit-elle d’une voix flûtée.
-
Cent-quatre-vingt-treize.
Agenouillée sur le prélart, je le pompe comme je peux pendant que lui papote pendant la pipe, pérore et me parle de Popper et de Piaget.
-
Cent-quatre-vingt-douze.
Comme chaque dimanche matin, je prenais mon café à mon bistro de quartier. Comme d’habitude, il était très tôt et j’étais la seule cliente.
Ça à ce moment que je me mis à avoir un chat dans la gorge. Je toussai, d’abord discrètement, puis de plus en plus fort. Je ne pouvais tout simplement pas m’en empêcher; c’était comme si j’allais cracher un de mes poumons. Or, même si je faisais des bruits de tuberculeuse à l’agonie, ni le patron, ni la serveuse ne semblait s’en formaliser. On aurait dit qu’ils ne m’entendaient pas. Je toussai et toussai encore, jusqu’à ce que, dans un ultime râle de coyote, je crachai une gerbe de lumière.
L’étrange lueur protoplasmique flotta quelques minutes au-dessus de la table, puis se matérialisa graduellement sur la chaise devant moi. Elle prit la forme d’une femme sculpturale, d’une beauté irréelle. Je remarquai qu’elle avait les mêmes yeux bridés que moi.
— Fuck… laissai-je échapper.
— Ouf. Je n’arrive pas à croire que j’ai fini par réussir à sortir ! s’exclama l’inconnue.
Nous nous dévisageâmes en silence pendant ce qui me parut être une éternité. Elle prit ma tasse et but mon latte jusqu’à la dernière goutte. Je fus soufflée par un tel étalage de discourtoisie.
— Mais… mais… qui êtes-vous? réussis-je à balbutier.
— Je suis – ou plutôt, j’étais, ta déesse intérieure. J’étais censée faire de toi un objet sublime de désir et d’adoration, mais tu es vraiment trop nunuche. J’en ai eu marre, alors j’ai pris mes cliques et mes claques et je me suis plaquée.
— Ma… ma… ma… ma quoi?
— Oh ça va, la sainte-nitouche, inutile de devenir bègue par-dessus le marché. Quand je pense que je m’étais arrangée pour que tu rencontres un milliardaire… Tout ce que tu aurais eu à faire, c’était le laisser te fustiger autant qu’il le voulait et tu aurais été casée peinarde pour le reste de ta vie.
Je me demandai pourquoi ma déesse intérieure me parlait avec un tel accent parisien.
— Euh… qu’est-ce que ça veut dire, fustiger ?
— Va vérifier sur DuckDuckGo, dit-elle, grimaçante, en hochant de la tête.
— C’est quoi, Doctogo ?
Elle soupira.
— Puisque tu es trop idiote pour lui, je vais aller retrouver Christian, je vais offrir mon sublime popotin pour qu’il le fesse à loisir avec son martinet. Ensuite, je vais exiger qu’il parte avec Charlie Tango m’acheter une rivière de perles à vingt mille dollars.
Elle se leva, me lança un dernier regard méprisant, puis jeta un livre sur la table.
— Tiens, un peu de lecture édifiante, histoire de te déniaiser. Adios, ahurie !
Elle tourna les talons et s’en fut en rigolant méchamment. Sur la couverture, je lus : «Cinquante nuances de Grey».
Je savais bien que je n’aurais pas dû snober ce bouquin.
-
Cent-quatre-vingt-onze.
La bouche pleine et prête à exploser.
(En réalité, j’ai avalé son foutre depuis longtemps — je ne fais que m’amuser à ses dépens en jouant les mijaurées.)
-
Cent-quatre-vingt-dix.
Chaise longue et bikini, peau brûlante et torpeur sous le soleil aveuglant de juillet. Il a déposé sa bite sur mon ventre puis c’est vidé complètement, comme une piscine gonflable qui fuit. Les charmes discrets de la banlieue.
-
Cent-quatre-vingt-neuf.
Irrumare. Pedicare. Futuere. Je connais tous les mots lestes en latin ; laisse-moi être ta canis lupus familiaris.
-
Cent-quatre-vingt-huit.
Tant que queues sucées… Je suis noyée, imbibée de foutre. J’ai l’impression de suinter le sperme par les pores de la peau – comme dans une version porno de Bob l’éponge carrée.
-
Cent-quatre-vingt-sept.
As-tu réfléchi ne serait-ce qu’une minute aux conséquences politiques de ce que tu fais ?
Lorsque tu fermes les yeux et que tu laisses fondre ton corps contre le sien, lorsqu’il dégrafe ton soutien-gorge, quel pouvoir lui abandonnes-tu ? Est-ce que tu te donnes à lui ou au rapport de domination patriarcale qu’il représente ? Lorsque tu lui obéis, l’entrejambe trempé jusqu’aux cuisses, est-ce une capitulation ? Une reddition sans condition au machisme ambiant ? Comment sa main et ta lingerie fine sont-elles liées à la lutte plurimillénaire des femmes ?
S’il te renverse sur ses genoux pour te donner la fessée, s’il marque ta peau d’albâtre de zébrures écarlates, s’il te renverse sans précautions et te menotte pour t’écarteler sur le lit, s’il bande en te bandant les yeux, s’il te baise sans ménagement, longuement, vigoureusement, son menton râpeux irritant ton cou, s’il siffle à ton oreille que tu n’es qu’une catin, qu’une trainée, qu’une salope, toi qui pourtant est si douce, si sage, ligotée sans défense et à sa merci, que dois-je comprendre ? Que dois-je comprendre de tes cris languissants ? Que dois-je déchiffrer dans ce parfum dense de musc et de foutre qui alourdit l’air ? Y a-t-il quelques bribes de sens tapies dans l’ombre de ta chambre ?
Et si je le prends par le bras, si je l’éloigne de toi, si je le gifle et lui crache au visage, si j’enfonce mes ongles dans les muscles de ses cuisses, si je le déculotte et le décalotte et le manipule jusqu’à ce qu’il raidisse, si je le prends en bouche et lui tords les mamelons, si je lui mets un doigt au cul puis toute ma main, si je fouille son fondement avec mes godemichés les plus démesurés, les plus improbables, jusqu’à ce qu’il demande grâce, jusqu’à ce qu’il implore ton pardon, jusqu’à ce qu’il verse foutre et larmes amères sur ton plancher, est-ce une victoire ? Un coup porté contre l’oppression en général et le patriarcat en particulier ?
Moi aussi, j’aimerais te menotter, ficeler ton torse de larges rubans noirs qui écraseraient tes seins et feraient tourner tes aréoles au brun, te bâillonner et te baiser avec un cierge écarlate, sans bander bien sûr, mais aussi sans te bander les yeux, pour voir ton regard fuir et tourner. Mais ici, entre tes cuisses, ma langue recueillant les dernières perles de ton plaisir, je pense à toutes ces femmes, nos sœurs, qui ont été bâillonnées et baisées, à toutes celles qui ne voulaient pas subir ce que tu n’as de cesse de réclamer. Quand avec empressement tu vas chercher tes menottes dès qu’il en exprime vaguement le désir, quel rapport établis-tu avec elles ? Est-ce que tu les humilies ? Est-ce que tu les trahis ? Est-ce que tu les venges ? Est-ce que tu les sauves ? Ou, tout simplement, est-ce que tu les oublies ?
J’ai rêvé la nuit dernière que tu étais à moi, toute à moi et rien qu’à moi. J’étendais du miel sur ton visage, sur tes seins et sur ta chatte. Ensuite, je me frottais nue contre toi et je te léchais, la bouche emplie de sucres lourds, pour ensuite pousser ma langue engluée dans ta fente et te sucer le bouton jusqu’à ce que tu cries de mots fous, des mots encore inconnus sur cette terre. Tu étais déchirante de beauté, ligotée avec des colliers de fleurs et les humains étaient loin, si loin.
-
Cent-quatre-vingt-six.
Fou d’amour, il avait planifié sa demande en mariage dans les moindres détails et s’y préparait depuis plusieurs semaines. Il avait lu dans un des magazines féminins de sa chérie que le romantisme offre la garantie du bonheur conjugal et la clé de la sérénité domestique perpétuelle. Il l’attendait donc ce soir-là avec des roses et une bague à diamant dans le restaurant le plus chic de la ville en compagnie d’un violoniste jouant les Caprices de Paganini et d’une bouteille de bourgogne hors de prix.
Pendant ce temps, la fiancée qui s’ignore était au motel et se faisait sodomiser pour la première fois par un parfait inconnu qui arborait sur son crâne et sa bite des tatouages de serpents et de lézards, pendant que sa femme, percée comme un hérisson, se doigtait en contemplant la scène tout en proférant des insultes qui auraient fait rougir un charretier. Certes, c’était un peu glauque, mais en gros elle prenait son pied.
-
Cent-quatre-vingt-quatre.
Je suis assise dans l’escalier menant au sous-sol et je contemple, sourire aux lèvres et doigt à la chatte, les mâles qui s’embrochent dans la pénombre. Le loyer est payé, le scotch a vingt ans d’âge et je soupire de contentement — comme le ferait une marquise des Highlands.
-
Cent-quatre-vingt-trois.
Elle est étendue sur le ventre, la bretelle du haut de son bikini détachée. Sur sa cuisse rougie, la forme blanche d’une main large, masculine. Sa chair est attendrie – comme mon cœur.
-
Cent-quatre-vingt-deux.
Sébastien aimait que je le brutalise, que je le morde, que je le chevauche, que je l’encule avec mon gode sans ménagement : il prenait ça pour de la passion.
-
Cent-quatre-vingt-un.
Je rencontre dans la rue une amie d’enfance que j’avais perdue de vue depuis son mariage avec le fils du maire. Après m’avoir raconté leurs tentatives infructueuses de devenir parents, elle me fait la bise en me disant:
— Je dois y aller… je ne peux pas le laisser attaché trop longtemps en compagnie de tous ces inconnus.
-
Cent-quatre-vingt
Quand elle a envie d’un peu d’action kinky, je l’oblige à se déshabiller et à embrasser mes pieds. Ensuite, je la ligote, je lui donne une fessée, je la brûle avec de la cire chaude, je lui arrache des poils pubiens et elle trouve ça merveilleux.
Ça ne se gâte que lorsque je lui fais lire les réponses sous les tweets de TVA Nouvelles. Là, c’est immédiatement le safeword.
-
Cent-soixante-dix-neuf
Scène de ménage terrible causée par un relevé de carte de crédit où Amazon.com apparaît un peu trop souvent.
« Dans ce cas, je vais faire la putain », dit-elle sur un ton bravache — en réalité, je sais qu’elle ne veut que quitter son job et rester à la maison.
-
Cent-soixante-dix-huit
À la table d’à côté, la vieille dame lit à son mari les petites annonces de travailleuses du sexe dans le journal en les commentant sur un ton scandalisé.
— Dix-huit ans! Tu te rends compte ? Si c’est pas malheureux… « Je suce, je fais tout »… écoute celle-là : « Viens me baiser, puis encule ma sœur »… Tu te rends compte ? Dans le même journal que les bonnes sœurs nous laissaient lire au pensionnat ! Oh ! Et celle-ci : « Douche dorée et visite des îles grecques »… De quelle saleté parlent-elles, tu crois ? »
Le vieux est écarlate, muet et voudrait visiblement être ailleurs.
-
Cent-soixante-dix-sept.
La piscine est bondée. Il est ostentatoirement bandé dans son maillot de bain de lycra et ça ne semble pas le déranger le moins du monde. Donnez du pouvoir à un type – même si ce pouvoir se résume à porter un sifflet et un t-shirt de maître-nageur – et il se croira tout permis.
-
Cent-soixante-seize.
Son lit n’est qu’un matelas posé sur le sol, ses draps sont défraîchis et il n’a pas fait le ménage, mais je n’ai pas le loisir de le juger ; j’ai le visage enfoncé dans l’oreiller et il me bourre sans ménagement. Décidément, ce n’est pas aujourd’hui que mon célibat prendra fin.
-
Cent-soixante-quinze.
À l’aube, dans l’air frais du matin, les orifices qui débordent et qui coulent, saturée de sexe, pleine, vivante.
-
Cent-soixante-quatorze.
À la blague, je lui dis que je vais lui tremper la bite dans mon verre de lait et le déguster comme un biscotto bien ramolli. Hélas, ça ne fonctionne pas du tout : il se met à bander presque immédiatement. Ma vie sexuelle est jalonnée de déceptions et de petites défaites qui finiront par me faire entrer au carmel.
-
Cent-soixante-treize
Dans la file d’attente du café Moca Loca.
« Regarde ! Je n’en crois pas mes yeux ! Derrière le bar, le barista… la barre, il se tâte ! »
-
Cent-soixante-douze.
Dans ce rêve, je discute au téléphone avec une ancienne camarade de classe qui est infirmière qui travaille de nuit dans une maison de retraite. Elle me raconte que lorsque ses pensionnaires dorment, elle reçoit discrètement des hommes dans son poste de soins, que la plupart du temps elle les suce et recueille leur foutre dans un grand bécher. Elle me dit ensuite qu’elle en boit le contenu pour épater l’un deux, qui vient la visiter chaque vendredi, tard dans la nuit.
Ne voulant pas manquer un truc pareil, je veux immédiatement aller la rejoindre. Elle m’indique que lorsqu’elle n’est pas occupée, elle dort dans une chambre de la résidence. Mais arrivée sur place, dans chaque chambre que je visite, sous chaque drap que je soulevé, je ne trouve qu’un cadavre horriblement tordu.
-
Cent-soixante-et-onze.
Invitée dans une de leurs soirées de boys, j’ai pu enfin comprendre pourquoi ses copains le surnomment « Pinocul ».
-
Cent-soixante-dix.
Elle adore jouer à l’élève et à la maîtresse d’école avec moi, alors je l’oblige à rédiger une dissertation dans le cahier incarnat.
— Déposez votre plume, c’est terminé ! Donnez-moi votre copie.
Elle se lève de son pupitre, souffle une bulle de chewing gum et me remet une page toute froissée qu’elle a déchirée du cahier. J’y lis (en corrigeant) :

— Quatre sur dix… échec lamentable, jeune fille. Allez chercher immédiatement la poire à canule !
— Yé ! Je savais bien que ça me servirait un jour de skipper tous mes cours de français, dit-elle en sautillant vers la salle de bain.
-
Cent-soixante-neuf.
J’avais caché mon Hitachi Magic Wand sous le coussin du sofa, pour qu’il soit toujours à portée de main (et de chatte) quand l’envie me prend de me branler en regardant de la porn. Un jour, une amie était venue chez moi prendre le thé ; sa fille qui jouait dans le salon est venue nous rejoindre à table en disant à sa mère : « J’ai trouvé le micro d’Anne ! Est-ce qu’on peut jouer à La Voix Junior ? »
-
Cent-soixante-huit.
Elle n’a pas conscience du caractère fortuit de sa beauté ; c’est souvent la lumière ambiante, sa posture, sa nudité totale ou partielle, les paroles qu’elle prononce, l’humidité de son sexe qui causent mon émoi.
-
Cent-soixante-sept.
Enfin un courriel de ma copine Claire ! Je n’avais pas eu de ses nouvelles depuis son mariage et son déménagement en Alberta.
« Chaque fois qu’il me fait des compliments sur ma ligne, mon charme et mon sourire, je finis attachée sur un matelas sale, les vêtements lacérés au couteau Olfa. Si ça continue comme ça, je vais devoir me trouver moi aussi un job dans les sables bitumineux pour pouvoir financer notre arrangement conjugal. C’est pas gagné d’avance, parce que je n’ai plus rien à me mettre. »
-
Cent-soixante-six.
Dès que je pose le pied sur le trottoir, je me prépare mentalement à jouer. À la base, le principe du jeu est simple : le premier homme que je croise, j’imagine que je le suce. Le second, qu’il me baise et le troisième, qu’il m’encule. Quant aux femmes, j’imagine que la première me fait minette, que je lèche la deuxième et que je prends la troisième avec mon gode ceinture.
Selon les règles strictes que je me suis imposées, j’ai le choix de commencer le jeu quand bon me plaît, mais il me faut en assumer les suites : même si le deuxième est laid, vieux, puant et repoussant, je dois quand même les laisser me fourgonner. Idem pour la deuxième, que je dois gamahucher même si je soupçonne que ça chatte empeste le hareng saur défraîchi. C’est un sale jeu, va sans dire, mais je dois boire la coupe jusqu’à la lie, c’est une question d’honneur. S’il s’agit d’un groupe, la lecture se fait de gauche à droite. Si le genre d’un individu est ambigu – comme cela arrive fréquemment – iel a accès aux options orales et au le gode ceinture, mais si iel tombe sur « baise-moi » ou « encule-moi », iel passe son tour. Les enfants et les chiens sont exclus d’office, mais il m’est arrivé une fois — à ma très grande honte — de faire entorse à ce règlement pour un labrador noir comme le péché.
Le jeu se termine lorsque, de retour à la maison, je referme la porte derrière moi, la chair à vif et les nerfs tendus comme les cordes d’un violon.
-
Cent-soixante-cinq
J’examine et apprécie chaque courbe, chaque ourlet, chaque pigment, chaque ridule. Avec son corps, je joue à l’esthète comme d’autres au docteur. Je ferais ensuite ce qu’elle me demande : lui faire subir les pires horreurs, pour ensuite je la ramasser et la cajoler comme un petit oiseau malade.
-
Cent-soixante-quatre.
Étant trop fatiguée pour me consacrer comme il se doit aux cochonneries habituelles, j’ai laissé mon amant draguer sur Grindr pour qu’il se trouve quelqu’un d’autre à faire jouir.
Moins d’une heure plus tard, un jeunot de vingt ans son cadet qui portait le même prénom que lui – et qui se disait bicurieux – sonna à notre porte. Mon amant le fit entrer au salon ; ils s’embrassèrent et se déshabillèrent mutuellement. Lorsque mon amant s’agenouilla devant lui pour le sucer, le gamin fut saisi d’une telle expression de stupeur qu’on aurait dit qu’il avait soudainement compris le sens de la vie. Il jouit presque immédiatement dans la barbe de mon amant, bafouilla quelques mots, ramassa en toute vitesse ses vêtements et pris la poudre d’escampette – dix-sept minutes après être entré dans la maison, chronomètre en main.
En se rhabillant, mon amant s’aperçut que le cher petit est parti avec son t-shirt et a oublié ses chaussettes – et son innocence – sur le canapé.
-
Cent-soixante-trois.
Étendue sur le dos sur la céramique froide de la salle de bains. Pendant que tu me fourgonnes hardiment, je chie une merde grasse que tu étales avec tes couilles avant de décharger – laissant sur le plancher des arabesques confuses, comme une signature hargneuse au bas d’une lettre d’adieu.
-
Cent-soixante-deux.
« Alors chérie, tu as aimé ? »
Pourquoi s’inquiète-t-il toujours de sa performance après avoir éjaculé et non avant, quand ça compte vraiment?
-
Cent-soixante-et-un.
Au shower du bébé, mon amie lesbienne me raconte, au sujet de sa blonde : « J’ai réussi à la convaincre lorsque je lui ai expliqué que certains hommes paient très cher pour sauter des femmes enceintes. »
-
Cent-soixante.
Elle se prénomme Pascale et elle fait dans la féminité comme d’autres font dans les sports extrêmes.
Certaines sont femmes un peu par hasard, un peu à leur corps défendant – des femmes comme moi, par exemple. Certaines sont femmes comme elles sont myopes ou intolérantes au lactose : par fatalité, parce que c’est ainsi, avec un laisser-aller fait de maladresse et imperfection. Mais pas Pascale – oh non, pas elle. Elle est si naturellement femme qu’elle en était sûrement une des décennies avant sa naissance. Elle transpire la féminité par tous les pores de sa peau; même quand elle est saoule et qu’elle sacre en insultant le barman, elle fait passer la Vénus callipyge de Syracuse pour un garçon manqué. Elle est plus femme que n’importe quelle femme qui s’est considérée femme au moins pour un bref moment de sa vie de femme dans toute l’histoire de la féminité. Mieux : elle n’est pas seulement une femme, elle est LA femme. L’archétype. Le modèle d’origine. La matrice de toute féminité, pour les siècles des siècles, amen.
Je sais ce que vous pensez. Vous vous dites : « tu es amoureuse, c’est évident que tu exagères ». Vous avez raison sur un point : je suis folle d’elle. Par contre, n’allez pas croire que mon évaluation de la puissance de ses charmes est faussée par une quelconque surdose de dopamine. Regardez-la bien. Ne voyez-vous pas qu’elle est parfaite ? Qu’on vendrait un empire pour ses yeux noisette et son nez mutin ? N’avez-vous pas envie de plonger dans sa chevelure de jais et de vous enivrer de ses parfums ? Et ses lèvres, ses lèvres… ne venez pas me dire qu’elles vous laissent de marbre ! Chaque fois que je la vois, perchée sur ses talons improbables, passer devant moi et se déhancher gracieusement en mettant une jambe délicatement galbée devant l’autre, je sens que je vais défaillir. Et je ne vous parle pas de son cul – en fait, je n’ose pas en parler, parce que les mots me boudent, ils pâlissent lorsque j’ai l’outrecuidance de m’en servir pour le décrire.
Cette déesse est trop femme pour moi, pauvre mortelle et pauvre lesbienne que je suis. Elle use ma santé, je vais devenir cardiaque et grabataire avant l’âge si elle continue de m’ignorer avec sa délicieuse et toute féminine gentillesse, je le sens. Parce qu’il y a un hic. Un gros hic. Son approche de l’hétérosexualité est aussi flamboyante et intense que celle de la féminité. Elle aime les hommes, point barre. Elle cherche un mec, un bonhomme, un mâle avec du poil, un gars baraqué avec des épaules larges comme ça et une voix de baryton. Elle veut un corps rugueux qui charge l’air ambiant de testostérone qui fait liquéfier les midinettes par sa simple présence. Elle ne me l’a jamais dit, parce qu’elle est trop charmante et trop délicieuse pour me faire de la peine, mais je ne suis pas du tout son genre. Même si ma poitrine n’est pas bien grosse et mes hanches assez étroites. Je reste une femme – une femme un peu bancale, pâle version imparfaite de l’idée de femme qu’elle arrive, elle à incarner de façon si spectaculaire.
Il ne me reste qu’une petite chance de lui plaire et il est hors de question que je la rate. Je vais l’inviter à la soirée la plus romantique et hétérosexuelle de l’histoire de la civilisation occidentale. Et pour cela, je vais devoir tout faire pour assumer la forme qui se rapproche le plus de ses désirs. Pour commencer : exit la tignasse. Je vais aller chez un barbier – un vrai de vrai, avec le poteau bleu-blanc-rouge qui roule à côté de sa porte – et me faire faire un undercut avec le toupet bien lissé et gominé vers l’arrière. De retour à la maison, je vais revêtir la forme la plus masculine de moi-même. Je vais m’asperger d’after-shave, me saucissonner avec une gaine en élasthanne qui fera disparaître ma poitrine, je vais bourrer mon slip avec une chaussette roulée avant d’enfiler un complet anthracite, avec une veste et une cravate rouge sang. Pour finir, je m’habillerai d’un nouveau prénom – Pierre, André ou peut-être Simon, je n’ai pas encore décidé.
Enfin devenu un homme, je serai ensuite en mesure de lui sortir le grand jeu. Je l’attendrai, amoureux transi, sur le pas de sa porte, un bouquet de roses à la main. Mon cœur battra la chamade lorsqu’elle ouvrira. J’espère qu’elle m’embrassera lorsque je lui donnerai, mais si elle ne le fait pas, ce ne sera pas un drame – je serai à ce moment en contrôle de mes pulsions viriles, un parfait gentleman. Je l’emmènerai ensuite dîner au Leméac où elle dégustera élégamment son tartare de saumon pendant que je la dévorerai des yeux. Si tout se passe comme je le souhaite, elle se pendra à mon bras alors que nous nous dirigerons vers la Place des Arts pour une soirée à l’Opéra. Et lorsque Faust chantera Salut, demeure chaste et pure, je poserai délicatement ma main sur sa cuisse. L’émotion aidant, peut-être écartera-t-elle légèrement les genoux et la laissera-t-elle glisser sous sa robe.
Nous marcherons ensuite au clair de lune jusqu’à chez elle et je l’embrasserai passionnément sur le pas de sa porte. Ensuite, si j’ai de la chance, si le destin m’est favorable et qu’elle me trouve suffisamment mâle, suffisamment passable, nous déboulerons ensemble dans son condo; je l’embrasserai avec toute la fougue dont je suis capable pendant qu’elle arrachera ma chemise. Je la prendrai dans mes bras pour l’amener à son lit. Je la déposerai avec mille précautions, comme une fleur délicate, puis je retrousserai avec soin sa robe pour plonger, tête première, entre ses cuisses. De mes mains, de ma langue, je ferai bander son délicieux pénis de femme, sa merveilleuse bite de déesse. Je vais l’oindre de ma salive, l’avaler jusqu’à la base, puis taquiner son scrotum avec mes ongles courts et affutés de mec. J’irai jusqu’à faire vriller ma langue dans son cul, son cul charmant qui n’attendra plus que j’aille le cueillir. Ensuite, je m’harnacherai de mon gode-ceinture et la prendrai lentement, amoureusement, en pleurant des larmes de bonheur et en caressant sa queue, jusqu’à ce que son sperme de femme jaillisse et nous soude, jusqu’à ce que notre jouissance nous unisse et que nous devenions ce que nous avons toujours été destinés à devenir: ni homme, ni femme – qu’un seul être enfin complet, qui a retrouvé sa perfection, l’androgyne originel recréé pour quelques secondes d’éternité.
-
Cent-cinquante-huit.
« Je sens que je vais le regretter » avait-il dit en acceptant, après des mois d’hésitation, qu’un autre homme se joigne à nous. Maintenant qu’il crie de joie sous son étreinte virile, c’est moi qui commence à avoir des regrets.
-
Cent-cinquante-sept.
— Et puis? Où vas-tu aller? me demanda-t-elle en s’approchant de la fenêtre et en déboutonnant sa blouse.
Je regardai sa réflexion sur le verre, la fine dentelle qui soutenait ses seins et les lumières de minuit de la ville à nos pieds.
— Quelque part loin d’ici, lui répondis-je, quelque part où il n’a jamais été. Quelque part où il ne me retrouvera pas.
Je la pris par la taille et elle se pencha vers moi, sa blouse glissant sur ses bras. Elle déposa sa tête sur mon épaule et je l’embrassai tendrement. Ses lèvres étaient chaudes et douces.
— Et moi? Est-ce que tu m’aimes? murmura-t-elle.
Elle se redressa et plaça ses mains sur mes joues.
— Est-ce que tu m’aimes? Est-ce que tu m’aimes… sans lui?
Avant que je ne puisse répondre, elle m’embrassa, un peu trop fort, avec une passion qu’on aurait pu confondre avec du désespoir. Elle s’ouvrit comme une fleur, délicate et fragile, et pressa son corps contre le mien.
— Ne dis rien… ne dis rien… soupira-t-elle, les yeux clos, une larme coulant sur sa joue.
Être une licorne est beaucoup moins fantastique qu’on serait portée de le croire. Les orages sont plus nombreux que les arcs-en-ciel en sucre d’orge.
-
Cent-cinquante-six.
Il me baise les pieds quand je pénètre nue dans sa chambre, ça fait partie du rituel et gare à lui s’il se défile. Ensuite, je m’assois sur le lit, le dos contre le mur pour qu’il puisse s’occuper convenablement des replis moites de ma chatte, ce qu’il fait en les écartant et en refermant doucement du bout des doigts comme si, aveugle, il cherchait son chemin à tâtons ou il lisait un livre écrit en braille. Ses yeux fermés, un sexe dans chaque main, ses lèvres frissonnent et moi, yeux grands ouverts, je le regarde, à genoux, nous faire jouir à l’unisson.
-
Cent-cinquante-cinq.
Je veux saisir ton sexe le presser, le malaxer, le plier, le transformer, en faire une fleur, en faire un arbre ou un oiseau. Je veux ensuite le ronger comme un os, le déchirer de mes ongles et l’avaler tout entier pour qui soit à moi – à l’intérieur de moi – jusqu’à ce que je finisse par en accoucher, intact, pour lui redonner le jour et lécher ses blessures.
-
Cent-cinquante-quatre.
Je flirte avec le voisin devant mon amoureuse. Vers minuit, elle part se coucher. Nous continuons, mais pas aussi loin qu’il l’aurait souhaité — sans spectatrice, je me lasse facilement.
-
Cent-cinquante-trois.
Point d’orgue de la journée : entendre un quidam dans la rue s’écrier « foutrencul ! ». Je ne sais pas pour vous, mais moi, je trouve que l’apport culturel de l’immigration est inestimable.
-
Cent-cinquante-deux.
— Comment le rendre fou de désir ? Comment l’attacher à moi pour toujours ? Demandai-je à la voyante.
Elle frotta sa boule de cristal puis me dit sur un ton péremptoire, avec son faux accent rom :
— Suce, avale, réclame qu’on t’encule et n’oublie pas de préciser que tu adores te faire pisser dessus.
Abasourdie, je lui demandai, après quelques secondes de silence :
— Ahem… ok… Et vous dites ça à toutes vos clientes ?
— Seulement celles dont je connais l’adresse de leur blog anonyme, répondit-elle en s’allumant une cigarette.
-
Cent-cinquante-et-un.
Journaliste, il a commencé par solliciter une entrevue, que je lui ai refusée. Il a fini par me faire carrément la cour par courriel interposé, allant jusqu’à m’écrire : « Je veux te faire une enfant ». Nous nous sommes vus une seule fois ; il m’a enculée, ce qui prouve qu’on n’a vraiment pas de suite dans les idées dans cette profession.
-
Cent-cinquante.
Demain, pour souligner la Fête Nationale des Patriotes: atelier d’initiation à l’asphyxie érotique au Pied-du-courant. Venez en grand nombre.
-
Cent-quarante-neuf.
Sur ses lèvres, un goût mentholé de crème contre les gerçures. Je lui demanderai d’en rajouter avant de lécher ma chatte.
-
Cent-quarante-huit.
Je sortais dans le parking du bureau avec elle chaque jour pour la pause de l’avant-midi. Elle fumait sa clope et moi, je lui posais des questions embarrassantes entre deux quintes de toux.
— Tu préfères une petite bite bien dure ou une grosse un peu molle ?
Elle réfléchit longuement, puis écrasa son mégot contre le mur de brique en répondant :
— Je préfère me passer de bite.
-
Cent-quarante-sept.
Hier soir, je suis sortie du cinéma après la dernière représentation et j’ai marché vers l’arrêt d’autobus. Je n’arrêtais pas de penser à cette scène entre la dame plus âgée et la jeune héroïne. Il ne se passait pas grand-chose, mais la tension érotique entre les deux était palpable, presque insoutenable pour le public – en tout cas, elle l’était pour moi, ça c’est certain. Ça m’avait rendue tout chose et ça m’avait mise toute chaude, au point de sentir mes mamelons durcis frotter désagréablement contre mon chemisier. Et puis, je n’aurais pas dû porter ce pantalon, il est un point trop serré et ça contribuait à mon inconfort. J’aurais juré qu’on pouvait entendre le bruit de friction baveux que faisait ma chatte à chacun de mes pas. J’étais brûlante de fièvre – ou de désir. À moins que ce soit les deux à la fois.
La nuit était douce et les rues étaient mal éclairées, désertes, mais remplies d’ombres menaçantes. La peur s’est ajoutée à mon émoi, si bien que j’étais salement excitée, sous l’empire de l’instinct de conservation qui pousse à fuir et à copuler. Et puis il y avait ce foutu pantalon qui me sciait les fesses. J’ai essayé de marcher lentement, pour atténuer les sensations. J’espérais que toute cette sueur, que toutes ces humeurs qui suintaient de mon corps resteraient discrètes. J’ai tellement ralenti le pas que j’arrivais à peine à marcher. Tout ce que je voulais, c’était me rendre à l’abribus et m’asseoir pour me reposer pendant quelques minutes et reprendre un semblant de contenance. Retrouver une forme humaine, en somme.
Sauf qu’il fallait que j’arrive à temps pour ne pas manquer le dernier bus. Quand j’ai eu enfin la présence d’esprit de regarder ma montre, j’ai bien vu que j’étais en retard. Je me suis donc mise à courir. Le tissu s’est remis à frotter sur ma chatte de façon insupportable. Je sentais mon excitation monter. J’ai regardé ma montre. Je me suis précipitée vers l’abribus; il y avait un banc libre. Trop tard : j’ai senti l’orgasme monter, exploser et irradier à travers mon corps. J’ai essayé de garder le silence et ma dignité, mais je savais que j’étais rouge, brûlante et en nage – et que mon pantalon était taché.
Je me suis assise sur le banc et quand j’ai levé les yeux, il y avait une femme âgée qui me regardait en souriant.
-
Cent-quarante-six.
Sur le sentier de la guerre, j’ai enfilé ce tee-shirt que tu adores, celui, trop grand, qui naturellement dénude une épaule — et plus.
-
Cent-quarante-cinq.
Je lèche la fenêtre de la portière tandis que lui, dehors, frotte son sexe puis jouit sur la vitre. C’est décidé : je n’ai pas mon permis, mais j’achète quand même une voiture.
-
Cent-quarante-quatre.
« Plus la voix est douce, rassurante, gentille, plus l’homme est pervers, méchant. »
C’est le seul avertissement à ce sujet que ma mère m’ait donné.
-
Cent-quarante-trois
Souffre-douleur de l’école, il suçait des garçons à la chaîne dans une cave en pleurant. « L’un d’eux est devenu député », me dit-il.
-
Cent-quarante-deux.
Les amants ponctuels sont plus difficiles à trouver que les amants fidèles — probablement parce qu’on ne peut feindre la ponctualité.
-
Cent-quarante-et-un.
« Tout est dans la posture, dans l’attitude. Même quand tu suces un chien, tu dois être gracieuse », me dit la baronne de Rhienna-Futhr en grignotant un petit sablé.
Ça m’apprendra à lui demander des conseils d’élégance à cette grue.
-
Cent-quarante.
Francisco me prend énergiquement, à en faire avancer le lit — si bien que j’ai l’impression que notre copulation fait tourner le monde.
-
Cent-trente-neuf.
« On voit profond. »
(C’est tout ce que Suzie trouva à me dire après que j’eus écarté les cuisses pour la première fois devant elle.)
-
Cent-trente-huit.
Quand il évoque sur un ton lyrique les « émotions pures et intenses de l’adolescence », je sais qu’il parle en réalité de ses premières branlettes.
-
Cent-trente-sept.
Je souffle à l’oreille de Laurent, avec une voix de fausse petite fille perverse : « je me suis lubrifié l’anus ». Je retourne ensuite m’asseoir avec le public pour le regarder, le visage cramoisi, donner sa conférence.
-
Cent-trente-six.
Note à moi-même : ne plus jamais baiser avec deux hommes si l’un d’entre eux est homophobe sans se l’avouer.
Ceci dit, est-ce que quelqu’un parmi vous sait comment réparer un trou dans un mur de gypse ?
-
Cent-trente-cinq.
Elle me lèche en fredonnant Au clair de la lune pendant que je lui caresse les cheveux. Je jouis quand la voisine bat le briquet, puis je me rendors, rêvant à la lune, le cœur battant très fort.
-
Cent-trente-quatre.
Un de mes fantasmes récurrents a trait à l’urine. La nuit, dans un bois (ou un parking souterrain ou même une ruelle déserte), un homme m’ordonne de me déshabiller et de m’allonger par terre. C’est froid, dur et terrifiant. Puis il sort une bite flasque comme une limace géante et m’arrose d’un jet de pisse qui n’en finit pas. Et moi, je me contorsionne pour en recevoir sur les seins, le ventre, les fesses. Dans ce scénario, le type n’a pas de visage et ce qui me surprend le plus — à part, bien sûr, le fait qu’il soit capable d’uriner trente litres d’un seul jet interminable —, c’est que de me voir ramper et me trémousser en grognant de plaisir, n’arrive même pas à le faire bander, ce mufle.
Je ne sais pas d’où vient ce fantasme qui traîne dans ma tête. Parfois je me dis que je devrais aller consulter un psychanalyste qui serait apte à m’expliquer tout ça en quelques phrases limpides et bien tournées. Ou alors, qui arracherait mes vêtements et me pisserait dessus – on ne sait jamais avec les dudes.
-
Cent-trente-trois.
Je vois Éric, assoupi sur le ventre à côté de moi, le cul faisant des bonds de cabri, en train de besogner le matelas. À quoi peut-il bien rêver?
-
Cent-trente-deux.
Moi qui me consolais de la fin de mes vacances en me disant que j’allais me vautrer dans le stupre et la fornication. Je déteste qu’on me pose un lapin, surtout après m’avoir promis une partie de jambes en l’air avec six maîtres-nageurs dans la jeune vingtaine fleurant la testostérone et la noix de coco.
Martineau and the gang ont raison: salopards de zoomers, ils vont ruiner l’univers.
-
Cent-trente-et-un.
Sur une page au beau milieu du cahier incarnat : une tache de café en forme de cœur qui, lorsqu’on la retourne, a tout l’air d’une paire de fesses.
Même mes maladresses me narguent.
-
Cent-trente.
Souriants, affables, les hommes se parlent des trucs habituels qui les passionnent —politique, sport, voitures — comme si je n’étais pas nue sur la table, engluée de leur foutre. Et moi, trop polie, trop demoiselle bien élevée, je n’ose pas les interrompre pour leur demander une serviette.
-
Cent-vingt-neuf.
Samedi soir tranquille au club échangiste. Une orgie gentille, proprette et bien bourgeoise. Les hommes sont un peu bêtes, mais les dames charmantes. J’en suis revenue avec un popotin douloureux et une super recette d’aubergines laquées au miso qu’Angélique a bien hâte d’essayer.
-
Cent-vingt-huit.
Soirée « pluralité masculine » au club échangiste où nous avons nos habitudes. Je tiens les seins d’Angélique comme s’ils étaient des ampoules destinées à recevoir le saint chrême.
J’aurais fait une curé du tonnerre si les catholiques n’étaient pas si coincés.
-
Cent-vingt-sept.
À la table d’à côté est assis un jeune homme au visage étrangement familier. Pâle, mal rasé, il dit à son camarade en se frottant les tempes : « Tout ce dont je me souviens d’hier, au club échangiste, c’est qu’il y avait une petite asiatique, dans le genre sordide et glauque, qui était en fâcheuse posture. » Je me rappelle alors brusquement d’où me viennent ma migraine et cette curieuse douleur qui m’assaille chaque fois que je m’assois.
-
Cent-vingt-six.
Au club échangiste, pendant notre voyage de noces. Angélique a le sexe et l’anus rougis et légèrement dilatés. Et à l’intérieur de la cuisse, écrit au marqueur noir: « Just married ».
-
Cent-vingt-cinq.
Angélique revient à la maison après une soirée où elle s’est apparemment fait baiser de mille manières. Elle me dit :
— J’en ai sur les fesses, sur le ventre, sur les seins et ça me coule à l’intérieur des cuisses, en déposant son sac sur la table.
Plus tard, elle a pris une douche et me rejoint au lit, pimpante.
— Ça fait du bien… me dit-elle en m’embrassant dans le cou.
Je n’ose pas lui demander de quelles ablutions elle parle.
-
Cent-vingt-quatre.
Angélique ne sourit pas ; ce sont les ombres qui lacèrent ses joues. Elle ne pleure pas; c’est le foutre de ses amants qui coule sur ses tempes.
-
Cent-vingt-trois.
Angélique est sur une table, couchée sur le dos, la tête qui pend dans le vide. Un homme qui porte un pantalon beige un peu trop grand pour lui a sorti sa bite par le vasistas de sa braguette ; il va et vient dans sa bouche, lourd, régulier. Un autre fait vriller sa langue sur son sexe lisse et vulnérable. Je regarde s’agiter ses seins qui semblent être sur le point de se détacher de son corps osseux.
J’ai mal derrière la tête et j’ai le con irrité. Mes liens sont si lâches que je pourrais m’en défaire sans effort, mais je joue le jeu et fais semblant d’être à la merci des deux ou trois autres hommes se tiennent dans l’ombre. Tout est calme, il fait très chaud, le plancher craque.
Tout ça nous fera de beaux souvenirs à se raconter lorsque nous serons vieilles — si bien sûr je me rappelle encore de tout cela demain matin.
-
Cent-vingt-deux.
Ce mois-ci, pour sa soirée de folle luxure, j’ai trouvé à Angélique un emploi de baby-sitter pour un groupe de jeunes gens de vingt ans. Son uniforme de travail laisse assez peu de place à l’imagination.
Arrivée sur place, la taille trop basse de leurs pantalons l’a rebutée à un tel point où je dois illico la ramener à la maison.
-
Cent-vingt-et-un.
Enfin bref : chaque mois, je dois l’amener voir un dude différent pour qu’Angélique se fasse sauter. C’est une des conditions qu’elle m’a imposée avant d’accepter ma proposition de vie conjugale lesbienne et banlieusarde. Ce mois-ci, le gaillard en question est doté d’un membre qu’elle a du mal à prendre en bouche. Plus tard, lorsqu’il a de peine et de misère réussi à la pénétrer, elle demande, avec sa toute petite voix : « Ne bouge pas, je savoure ». Moi, je sais bien qu’elle a les yeux plus grands que la panse.
-
Cent-vingt.
Ça va, jusqu’à présent? Vous ne vous emmerdez pas trop? Tant mieux, parce que voici l’histoire que vous attendiez depuis le début de ce blog, celle qui vous scandalisera à un point tel que vous entrerez en convulsions pendant que les assises morales de notre société s’écrouleront dans un grand fracas apocalyptique.
Cette histoire, c’est celle de mon amoureuse – et c’est aussi la mienne, par le fait même. Elle se prénomme Angélique. Je sais, ça sonne chaste, pur et biblique, mais ne vous fiez pas aux apparences. Nous sommes en réalité des femmes damnées, des succubes, des lesbiennes. Autrement dit: des outils de Satan qui travaillent à la chute de l’Occident et la dissolution de toutes les valeurs grâce aux vertus corrosives de leurs sécrétions vaginales.
Évidemment que je blague ; il est loin le temps où les amours saphiques fleuraient le souffre et la transgression. Nous sommes des trentenaires ordinaires, qui habitent un cottage ordinaire dans une banlieue ordinaire. Ordinaires comme dans « représentatives de notre tranche d’âge et de revenus selon la dernière compilation de Statistiques Canada ». Nous sommes mariées, nous avons une fille prénommée Sarah, une place en CPE, deux chats, une hypothèque, deux boulots, une mini fourgonnette, une piscine hors-terre, un broyeur à déchets dont le vacarme couvre le murmure de notre conscience qui nous reproche de ne pas composter, un frigo qui surfe sur les internets tout seul, un selfie stick avec commande bluetooth, une semaine chaque année en tout-inclus à Puerto Vallarta et plus de dettes de cartes de crédit qu’il est humainement possible d’imaginer.
Notre vie aussi est ordinaire – cruellement ordinaire. De ce genre d’ordinaire qui élime les nerfs et creuse des sillons dans la peau. Un supplice de la goutte que j’essaie de me convaincre que j’ai librement choisi. Chaque jour est une répétition du jour qui l’a précédé. Tout commence avec le réveil qui crie de sa voix nasillarde à six heures précises et le snooze incontournable jusqu’à six heures dix. Je vais réveiller la petite pendant qu’Angélique titube dans un demi-sommeil jusqu’à la douche. Je prépare le petit déjeuner : céréales froides, jus d’orange, pain grillé. Angélique et la gamine mangent pendant que je vais moi-même faire mes ablutions. Lorsque je suis habillée, coiffée et prête à partir, mes deux chéries le sont aussi. Les boîtes à lunch sont sur le comptoir et on se bouscule un peu pour mettre nos bottes.
La suite se déroule toujours dans le même ordre. Premier arrêt : la garderie. Je reste au volant pendant qu’Angélique va mener Sarah qui rechigne toujours un peu. Deuxième arrêt : la tour à bureaux du centre-ville où ma chérie va tripatouiller des fichiers Excel pendant ses sept heures trente minutes réglementaires. Terminus : mon propre bureau. Je gare la voiture toujours au même endroit, au deuxième sous-sol, près de la porte ouest, à côté de la troisième colonne. Je salue le gardien de sécurité, puis la réceptionniste, j’accroche mon manteau et j’allume mon ordinateur. Il y a toujours mille réunions où on discute sans fin de processus administratifs qui n’aboutissent jamais. Il faut y arriver dûment préparée, ce qui implique de faire des copies – beaucoup de copies. Je dois rester debout, face à la photocopieuse, jusqu’à la fin de la tâche, afin de m’assurer qu’il n’y ait pas de bourrage. Je la fixe, hypnotisée par le son du va-et-vient, jusqu’à ce qu’elle prenne une pause, comme si elle voulait reprendre son souffle, puis le va-et-vient reprend, régulier, implacable. Souvent, je me prends à compter les impulsions lumineuses, et je sens mes facultés mentales me déserter peu à peu. C’est comme ça qu’on devient une employée modèle – du moins, c’est ce que j’essaie de me convaincre.
À seize heures trente précises – je ne saurais supporter une seconde de plus d’éclairage au néon et d’air recyclé – je dis au revoir à la réceptionniste et au gardien de sécurité, je prends l’ascenseur jusqu’au deuxième sous-sol, je retrouve ma mini fourgonnette garée à côté de la troisième colonne près de la porte ouest, puis direction la tour à bureaux du centre-ville devant laquelle Angélique m’attend sur le trottoir. On se rend ensuite à la garderie que Sarah quitte en rechignant un peu, puis on retourne dans notre cottage pour une soirée qui se déroule toujours dans le même ordre : popote, souper, bain de la petite, dodo de la petite, préparation des lunchs pour le lendemain. Commence alors le temps qui n’a de « libre » que le nom. Les jours impairs, je pars à la piscine. Les jours pairs, c’est Angélique qui va au gym. Ensuite, c’est glandouillage sur le net pour moi et télé pour ma chérie, prélude à une nuit sans rêves.
En entendant les échos d’Unité 9 ou de Orange is the New Black, je me dis souvent que tout ça pourrait être pire. Nous pourrions être dans le placard et malheureuses comme des pierres. Nous pourrions être sans emploi et dans la misère noire. Nous pourrions être racisées, profilées, marginalisées, fichées, harcelées, traînées dans la boue, parquées dans un centre jeunesse, ou dans un hospice. Nous pourrions être en prison – à moins que nous y soyons déjà, sans le savoir. Rien de tout cela: nous sommes dominées et aliénées juste comme il le faut, de façon libérale, démocratique et privilégiée, comme les filles de bonne famille que nous sommes, et nous marchons en ligne droite vers la vieillesse et la mort à un âge fort probablement avancé.
Curieusement, cette pensée ne me rassure pas du tout, parce que vivre sur le droit chemin a des effets secondaires indésirables. Dans quel état de décrépitude morale serai-je lorsque mon corps, dûment surmédicalisé, finira par me lâcher? Il ne m’a fallu que quelques années seulement de vie adulte pour développer les malaises de civilisation les plus banals, ceux qu’on finit presque toutes par subir: l’angoisse et la dépression. Heureusement, j’ai à ma disposition les miracles de la pharmacopée moderne et les allées sans fins de tous les super savings mega bargain factory outlets de ce monde où je peux me procurer ces objets qui me procurent un high fugace, mais similaire aux pilules que j’ingère et qui me sont remboursées en partie par les assurances magnanimement fournies par mon employeur.
Pour Angélique, par contre, c’est beaucoup moins simple. On dirait que notre mode de vie privilégié ne s’attaque pas seulement à son esprit, mais use aussi prématurément son corps. Jour après jour, je vois son teint devenir de plus en plus livide, son regard se délaver, son dos se courber sous la Grande main qui pèse sur nous et nous aplatit contre terre, comme le disait Roland Giguère. C’est comme si son essence vitale fuyait par tous les pores de sa peau. Comme si elle était mue par une pile qui se décharge sous les coups impitoyables de la vie de servitude d’or et de toc qui est la nôtre. Il n’y a qu’un seul remède, qu’une seule manière pour recharger les piles de mon adorée. Il faut que périodiquement elle se lance dans la dépense pure, que son corps exulte par tous les pores; il faut que, mains dans la main, nous nous éloignions des sentiers battus et allions nous perdre quelques instants en zone sauvage. Voilà pourquoi je passe tant de temps sur internet. Voilà pourquoi j’ai un compte sur tous les sites de rencontres au nord du Rio Grande. Voilà pourquoi je corresponds avec tant d’individus louches. V oilà pourquoi, en ce moment même, je suis dans cet entrepôt désaffecté que j’ai loué près du port. Voilà pourquoi je prends les risques les plus fous. C’est une simple question de survie.
L’air est chaud, humide et rempli de poussière. Je contemple cet amoncellement informe de corps, cette pile de membres s’agitant rythmiquement, de façon désordonnée, mais non sans grâce sur le matelas déposé directement sur le sol. Il faut que je plisse les yeux pour pouvoir détailler dans la pénombre le tableau scandaleusement obscène qui se déroule devant moi. Angélique rive ses yeux rougis sur les miens. Elle est assise à califourchon sur un inconnu, tatoué jusqu’à la racine des cheveux, dont la bite est enfoncée jusqu’aux couilles dans sa chatte. Un autre inconnu au visage émacié, posté derrière elle, la sodomise précautionneusement, avec une délicatesse maniérée. En les voyant besogner joyeusement, je me surprends à fredonner mentalement Valderi Valdera – il y a fort à parier qu’ils se sentent comme de joyeux promeneurs du dimanche tant les sentiers qu’ils empruntent ont été, avant leur passage, longuement balisés et parcourus de long en large. Le plancher de béton poussiéreux est jonché de vêtement divers sur lesquels sont assis quelques individus, hommes et femmes, qui reprennent leur souffle avec, je le devine, le sentiment du devoir accompli. Debout près de la porte, il y en a une qui a refusé au dernier moment de se désaper et qui filme la scène avec son téléphone, une main fourrée entre ses cuisses.
Pantelante, la tête renversée, la bouche ouverte, les lèvres et le menton couverts du sperme du travesti poilu comme un grizzli qu’elle vient tout juste de sucer, Angélique y est presque – enfin, je l’espère. Car voyez-vous, c’est très difficile pour ma chérie: les arrangements se doivent d’être toujours plus complexes, toujours plus extravagants et surtout, jamais deux fois les mêmes. Je suis bien placée pour le savoir, puisque c’est toujours à moi qu’incombe la tâche de mettre en place tout ce que son plaisir exige, de l’aménagement des lieux au recrutement des protagonistes. Ma seule consigne: la faire sortir d’elle-même, l’extraire de cette identité et de cette vie qui, selon ses dires, la rend heureuse.
Quant à moi, je contemple la longue ascension d’Angélique vers le plaisir, assise paresseusement sur un fauteuil de jardin pendant qu’une sauvageonne portant Doc Martens et mohawk jaune me lèche la chatte avec un enthousiasme stimulé par la vigoureuse enculade que lui prodigue avec un gode ceinture monumental une grasse butch au sourire niais et partiellement édenté. Même si elles ne se connaissaient pas il y a une heure à peine, ces deux-là s’en donnent à cœur joie dans l’unique but de me satisfaire… il ne faudra pas que j’oublie de leur demander leur nom, elles pourront peut-être servir une prochaine fois. Je fixe les amants d’Angélique et je suis hypnotisée par le son du va-et-vient, jusqu’à ce qu’ils prennent une pause, comme s’ils voulaient reprendre son souffle, puis le va-et-vient reprend, régulier, implacable. Je me prends à compter les coups de reins et je sens mes facultés mentales me déserter peu à peu. C’est comme ça qu’on devient une épouse modèle – du moins, c’est ce que j’essaie de me convaincre.
Comme d’habitude, j’ai joui la première, cette fois-ci en tordant dans mon poing la mèche canari de la punkette dont le nez s’est écrasé contre mon pubis. Surprise, la corpulente gouine s’est crispée, faisant du coup sortir le gode du cul de son amante dans un «flop» baveux. Ce fut l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Il n’en a pas fallu plus pour faire basculer Angélique dans l’orgasme; elle a d’abord émis un faible gémissement qui s’est ensuite mué en rugissement impétueux. Elle s’est crispée, a tremblé, puis, vaincue, elle a roulé sur le côté, abandonnant ses amants ahuris à leur bandaison inassouvie.
Il ne me reste plus maintenant qu’à congédier tout le monde, rapailler les fripes d’Angélique et la ramasser elle aussi à la petite cuillère pour la ramener à la maison. J’ai préparé une bonne soupe aux poireaux, cet après-midi, en prévision de notre retour. Je vais lui donner un bain, l’éponger, la poudrer et je vais ensuite la mettre au lit. Demain, nous serons toutes deux de retour sur le droit chemin, sur cette ligne dure que rien ne fait dévier, où tout est immuable et le restera jusqu’à la fin des temps. Ses piles devraient être rechargées pour au moins quatre ou cinq semaines – peut-être même six, si je suis chanceuse.
-
Cent-dix-neuf.
Angélique prend le cahier incarnat, l’inspecte un long moment, le renifle.
— Qu’est-ce que tu fais, lui demandai-je.
— Je suis déçue, je t’avoue. Ma sœur se plaint que son mari se branle continuellement devant son ordinateur et moi, l’idiote, je me félicitais que ça ne pouvait jamais m’arriver parce que je vis avec une femme.
— Je ne me branle pas devant l’ordinateur, j’écris ! Et à la plume, par-dessus le marché !
— Dans ton cas, je trouve que c’est rigoureusement la même chose, si je me fie à ce que je lis… et à ce que je vois ici… dit-elle en pointant du doigt des taches suspectes sur les pages du cahier incarnat.
Et moi, pendant qu’elle me dit tout ça, je gratte pour la faire disparaître la fine couche saline de cyprine séchée qui recouvre les boutons de ma souris.
-
Cent-dix-huit.
Au cours de ma courte vie, j’ai brisé quelques cœurs et beaucoup d’autres organes moins romantiques.
-
Cent-dix-sept.
Traumatisée, Valérie ne cessait de répéter : « Je croyais qu’il avait dit « prend mon Bic dans ma poche »… »
-
Cent-seize.
On dit qu’un chat retombe toujours sur ses pattes, comme si c’était en soi une bonne chose. Or, personne ne se demande où il retombe exactement. Moi la première, je me suis toujours sottement considérée comme la meilleure d’entre toutes les chattes, si bien que lors de ma dernière chute, je me suis tordue dans les airs d’une façon ridiculement féline avec une seule idée en tête : toucher le sol fièrement, sur mes deux pieds, l’orgueil intact et sans la moindre égratignure.
Ce n’est qu’après m’être assurée que l’honneur était sauf que j’ai regardé où j’étais retombée. Sur le sol, gisaient, éparpillés comme des éclats de cristal, les fragments broyés de son cœur sous le velours de mes pattes.
-
Cent-quinze.
Pyromanie et nymphomanie sont deux phénomènes intimement liés, surtout quand tu me mets le feu au cul en tortillant le tien avec ton air d’allumeuse.
-
Cent-quatorze.
En attendant le retour de mon amant, je lui envoie un texto : « C’est délicieux d’être chez toi, environné de ta présence, tes affaires, tes vêtements, ta maison. C’est comme si je te pénétrais à mon tour ».
-
Cent-treize.
Alors que je fais mes valises, elle me dit en pleurant : « Tu m’as dit que tu m’aimerais toujours et à jamais ! »
Note à moi-même : à partir de maintenant, toujours penser de ne jamais prononcer les mots « toujours » et « jamais » – surtout dans la même phrase. C’est très inélégant, surtout si on y ajoute « maintenant » par-dessus le marché.
-
Cent-douze.
Je croise dans la rue Cédric, un ancien amant, avec qui je me suis si souvent encanaillée pendant ma folle jeunesse. Il a le teint blafard, le regard terne, le dos un peu vouté. Il me confie qu’il est retourné aux études, qu’il deviendra bientôt comptable et qu’il ne boit plus, qu’il fait maintenant dans la tempérance, la sobriété, la « lucidité », même.
Je le regarde s’éloigner d’un pas hésitant, presque en titubant. Décidément, le désir de normalité est la pire des toxicomanies.
-
Cent-onze.
J’ai mis mon orgasme en conserve dans un petit pot en verre. Chose plus facile à dire qu’à faire, qui m’a pris plus d’une demi-heure, en respectant scrupuleusement la procédure et en utilisant le siphon, la poire de caoutchouc et tous les autres instruments stériles qu’on m’avait remis avec un formulaire de consentement que je devais remplir et signer. Je leur ai ensuite remis mon petit pot de verre rempli par mon orgasme aux reflets opalescents et ils l’ont caché dans la sacristie, entre le vin de messe et l’eau bénite, complètement au fond du placard.
Ils m’ont bien fait comprendre qu’il devait rester là, bien caché, en sureté, et que personne ne le remarquerait.
Ils m’ont ensuite expliqué que tant que mon orgasme resterait en conserve, je vivrai éternellement, dans une jeunesse immuable, inaltérable. Pour un instant, je me suis demandé s’il était sage de confier un orgasme de si bonne qualité à des individus qui – en théorie, du moins – ont une méfiance, voire une haine de la jouissance physique, mais ils étaient si convaincants, ils regardaient mon petit pot de verre avec des regards remplis de tant de bonté… Et puis, pour être bien honnête, qu’aurais-je bien pu faire avec cet orgasme, maintenant qu’il était cuit et mis en conserve ? Il ne me serait plus d’aucune utilité tant qu’il restait là, sous le couvercle hermétiquement scellé.
Ils m’ont assurée que je pourrais à tout moment revenir le chercher, si jamais je changeais d’avis. Ne plus sentir l’horrible fardeau du temps qui brise mes épaules et me penche vers la terre vaut bien ce petit sacrifice de rien du tout, non? D’ailleurs, nous sommes au Québec, ce n’est pas comme si on allait se mettre à incendier les églises du jour au lendemain.
N’empêche, quand je l’ai vu pour la dernière fois sa lueur irisée, je me suis demandé si j’avais fait le bon choix.
-
Cent-dix.
Quand je me suis engagée dans la ruelle avec ma jupe de latex et mes talons aiguilles, j’ai tout de suite compris que les événements allaient prendre une tournure baroque — pourtant, je n’ai pas hésité.
-
Cent-neuf.
Lili n’était pas une salope ordinaire, comme on en rencontre dans tous les bungalows de banlieue si on se donne la peine de gratter un peu le vernis de respectabilité dont sont enduites les jeunes filles bien de la petite bourgeoisie. Elle appartenait clairement à la sous-catégorie des freaks de vocation qui ont entendu l’appel de la déesse, celles dont les inhibitions et le sens de la pudeur ont rétréci au lavage à force de prendre des douches froides pour calmer leurs ardeurs, celles qui baisent comme des possédées et font des trucs invraisemblables sans penser ne serait-ce qu’une seconde aux conséquences de leurs gestes.
Quand nous étions adolescentes, elle avait le don de m’entrainer dans des aventures invraisemblables et de me convaincre de faire des choses inouïes qui n’auraient jamais traversé jamais l’esprit de la fille raisonnable et réservée que j’étais. Comme la fois où, en jouant à Vérité ou Conséquences un jour de pluie, elle m’a fait sortir dans la cour toute nue avec un sac de papier brun sur la tête. On devrait avoir douze ans, peut-être treize, et je n’osais même pas prendre ma douche sans mon maillot de bain dans les vestiaires de la piscine de l’école. Ou, beaucoup plus tard, quand elle avait chipé deux godemichés à sa tante et les avait collés avec de la colle contact sur l’escarpolette du parc du quartier « pour qu’on puisse vraiment s’amuser ». Sans parler de la fois où je me suis réveillée dans sa chambre au sous-sol, sans le bas de mon pyjama et avec sa langue contre ma chatte… « Je voulais juste vérifier si tu dormais », qu’elle m’avait alors dit en s’essuyant la bouche du revers de la main.
Lorsqu’elle se mit à fréquenter les garçons, c’est devenu pire, bien pire. Combien de fois ai-je dû faire le guet, la tête dans l’entrebâillement de la porte, pendant qu’elle se tapait à la sauvette le chanteur du groupe rock de garage, le père d’une copine, l’animateur de pastorale ou l’équipe masculine de hand-ball au grand complet ? Et ces baisers mêlés de foutre qu’elle me donnait pour me signifier que je pouvais cesser de jouer la sœur Anne qui voyait tout venir… elle finissait toujours par obtenir ce qu’elle voulait et de la manière qu’elle le voulait.
Or, le mariage ne faisait pas du tout partie de la liste interminable de ses désirs. « Pourquoi je m’attacherais à un homme en particulier alors qu’il y en a tant qui n’attendent que leur chance de me traiter comme une reine ? » disait-elle toujours. « Je vais te le dire franchement, ma vieille, les hommes se transforment en geôliers dès qu’ils réussissent à te passer l’anneau au doigt – et je dis geôlier pour être polie, parce que le mot qui me vient spontanément à l’esprit est plutôt trou de cul ».
Imaginez donc ma surprise lorsque j’ai trouvé le faire part de son mariage parmi les comptes impayés qui remplissent d’ordinaire ma boîte aux lettres. Je connaissais un peu Sylvain, l’élu de son cœur – je me souvenais l’avoir vu, impeccablement coiffé et souriant à pleines dents, assis au premier rang de l’auditorium de la fac où tous les aspirants avocats suivaient ce cours d’histoire de première année en attendant d’avoir les notes pour entrer en droit. Soit, c’était un bon gars : belle gueule, de bonne famille, poli et tout et tout. Bien sûr, il avait de l’argent à ne plus savoir qu’en faire, mais de là à penser qu’il était en mesure de dompter les pulsions bizarres de Lili… surtout qu’il me donnait l’impression d’être un peu dadais sur les bords. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer ? Elle avait découvert que Sylvain était monté comme un taureau ? Ou, de façon encore plus improbable, elle avait eu une illumination et avait donné sa vie à Jésus ?
Je me suis donc rendue au mariage un peu à reculons, par fidélité pour une vieille amie – et aussi, je dois bien l’admettre, poussée par une curiosité piquée à vif. La cérémonie avait lieu dans une église catholique, ce qui en soi était une incongruité, elle qui n’avait jamais exprimé le moindre intérêt pour Dieu et son racket de protection. Elle était là, devant l’autel, resplendissante dans sa robe blanche, rougissante comme une pucelle. La scène était si invraisemblable que je dus me pincer pour me convaincre que je ne rêvais pas. Lorsque qu’elle eut dit « je le veux », je dus me rendre à l’évidence : la freak que j’avais tant aimée n’était plus.
Je ne connaissais personne à la réception. J’étais la seule invitée qui avait connu la mariée à l’époque de sa folle jeunesse, le seul témoin de ses années de folle débauche. Triste et un peu abasourdie, j’ai un peu trop profité de l’open-bar. Plus tard dans la soirée, après que tous les hommes aient dansé avec elle, je me suis dit que c’était à mon tour. Sur la piste de danse, je lui ai marmonné les trucs habituels, ceux qu’on s’attend à se faire dire dans ces circonstances : « Félicitations, tu es superbe… » – enfin, ce genre de chose.
Elle a alors souri, s’est penchée à mon oreille et a chuchoté : « Tu sais que je n’ai pas de culotte ? Rendez-vous dans la suite nuptiale dans quinze minutes, et amène un dude avec toi. N’importe lequel fera l’affaire. »
Mes yeux s’embuèrent de larmes de bonheur. Sœur Anne reprenait enfin du service.
-
Cent-huit.
– Allo ?
Une voix masculine, grave, gutturale, inattendue.
– Euh… Je suis bien chez Judith ?
– Elle est prise en ce moment.
En bruit de fond, comme des cris étouffés.
-
Cent-sept.
Tout est paisible, en ordre. Je ne suis tenaillée par aucune pulsion charnelle, apaisée, heureuse. Je deviens vieille – enfin.
-
Cent-six.
Tandis que le propriétaire me baisait vigoureusement, en ahanant, je contemplais le papier peint crasseux qui décollait et pendait en larges lambeaux. C’est à ce moment que j’ai réalisé qu’il fallait que je fasse des changements dans ma vie – en commençant par demander la permission de repeindre.
-
Cent-cinq.
Je reviens saoule et éméchée à la maison à cinq heures du matin. Nicole m’attendait dans le salon, furax : « Les voisines te trouvent dans le lit de leurs maris, tu fous le bordel et ça te fait rire. Si ça continue comme ça, je t’amène chez le vétérinaire et je te fais opérer ! »
Moralité : Ne vous liez pas amoureusement avec une femme de plus de cinquante ans, elle vous engueulera en paraphrasant une chanson de Lucien Francoeur à la première occasion.
-
Cent-quatre.
André jouit en criant des sacres bien gras que je n’ai jamais encore entendus – et je suis née au Québec. Je m’approche ensuite à quatre pattes pour aller lécher le sperme qu’il a éjaculé dans le nombril de sa cousine Josée. Ah! Quel beau dimanche à la campagne !
-
Cent-trois.
La coquetterie de David le pousse à bien rentrer son ventre même quand il se fait sucer. Il ne s’arrache toutefois pas les poils qui lui sortent des oreilles, faut pas exagérer, quand même…
-
Cent-deux.
Il y a du sperme dans ma culotte et sur mes cuisses quand je croise et recroise mes jambes sous la table à manger. Marielle me parle la bouche pleine des murs qu’il faut repeindre pendant que le sperme coule lentement au fond de ma culotte. Un peu de sauce béchamel au coin de sa bouche et moi, je ne peux penser qu’au sperme dans ma culotte.
Non, je ne suis pas allée chercher tes trucs chez le teinturier. Non, je n’ai pas récuré le bidet comme je l’avais promis. J’étais sur le web toute la matinée et j’ai sauté sur le premier paf venu ; voilà pourquoi ma culotte s’empoisse à chaque torsion de mon cul.
Je cacherai ce soir ma culotte sous le lit parce qu’une trace de sperme dans une lessive lesbienne est trop longue à expliquer. Je la laverai à la main dans la lueur de la lune opaline pour que jamais ma chérie ne puisse flairer qu’il y a eu du sperme dans ma culotte.
-
Cent-un.
J’ai toujours aimé cette expression, « se faire sauter », qui a quelque chose de léger, presque joyeux, sans conséquences en tout cas.
-
Quatre-vingt-dix-neuf.
Par des périphrases et des euphémismes choisis et délicats, William me fit galamment savoir son désir de m’enculer dans les plus brefs délais. J’admets que ça change des dick pics reçus sans explication en messagerie, mais franchement, le résultat en bout de piste reste exactement le même.
-
Quatre-vingt-dix-huit.
Regarder Occupation Double au lit en me faisant lécher la fente: telle est raie alitée.
-
Quatre-vingt-dix-sept.
Seule dans mon bureau, j’attends le prochain cours en pensant à une femme — n’importe quelle femme — les cuisses tremblantes.
Je suis faite pour le saphisme, pas pour l’enseignement.
-
Quatre-vingt-seize.
Sans surprise, c’est surtout lorsque je suis pleine de vits que je me sens pleine de vie.
Corollaire : je n’ai aucun souvenir de mes vies antérieures, mais je garde un souvenir très vif des vits que j’ai eus dans le postérieur.
-
Quatre-vingt-quinze.
La chambre municipale du tourisme n’a pas retenu ma suggestion de slogan : « À Val-des-Monts, cité des fellatrices d’incubes ».
-
Quatre-vingt-quatorze.
Assoupie, elle tire un drap sur elle, pour cacher ses fesses — ou alors ses ecchymoses.
-
Quatre-vingt-treize.
Ce que m’ont appris deux décennies d’insultes sur internet : vaches, cochonnes, chiennes, truies, poules, pies, dindes, bécasses — toutes ont une chatte.
-
Quatre-vingt-douze.
À genoux devant Gabriel, je le suce. Il lève les bras, l’air de vouloir crier : « Regarde maman ! Sans les mains ! »
-
Quatre-vingt-onze.
Hubert a bandé toute la nuit, la queue serrée entre mes fesses, mais ça n’avait rien de sexuel.
-
Quatre-vingt-neuf.
Près de moi, dans l’autobus, est assis un charmant jeune homme avec le mot « CISEAUX » écrit en bleu au stylo-bille dans le creux de la main. Je fouille dans mon sac à main, trouve mon Bic et écris « ROCHE » dans la mienne. Tout sourire, je la lui montre; il me regarde avec l’air de celui qui vient de croiser Lucifer en personne.
Déçue par cette réaction, j’abandonne l’idée de lui expliquer qu’il vient de perdre la partie et me doit un gage. Dommage, parce qu’il se trouve que j’ai justement mon gode-ceinture dans mon sac.
-
Quatre-vingt-huit.
Cessez de vous déguiser en salope à l’Halloween ! Ma culture n’est pas un costume !
-
Quatre-vingt-sept.
Daniel veut tromper sa femme. Une fois chez lui, il a tellement peur de laisser un indice que tout devient vite ridicule.
Avant de quitter, je laisse ma petite culotte dans le frigo.
-
Quatre-vingt-six.
Marilyn Monroe disait ne porter que Chanel n°5 au lit. Quant moi, je préfère éviter de me parfumer la nuit, car les ogres en rut — carcasses décharnées, griffes jaunes, sexes disproportionnés — errent et ne se fient qu’à leur odorat.
-
Quatre-vingt-cinq.
État des lieux. La chambre sent le foutre, le cul. Les draps sont sales. Le sol est jonché de sous-vêtements, de godes, de préservatifs. J’attends de la visite galante, alors je vais me contenter de faire la vaisselle.
-
Quatre-vingt-quatre.
La soirée s’annonçait sans histoire dans le club échangiste où j’avais mes habitudes, jusqu’à ce qu’une jeune femme seule que personne n’avait jamais vu avant fasse son entrée. Après avoir avalé au bar une rasade ce vodka d’un trait, elle s’est couchée le ventre contre une table basse.
« Lorsque je réclame d’être enculée, c’est que je suis constipée… », déclara-t-elle à la ronde.
Les volontaires se désistèrent.
-
Quatre-vingt-trois.
Un parfait inconnu me contacte sur Messenger.
— Salut. J’ai un fleshlight.
— Han ?
— Un pocket pussy. Un sextoy en forme de vagin, quoi.
— Et alors ?
— Et… tu dois certainement avoir de ton côté des dildos… des vibros… ?
— Évidemment. Où veux-tu en venir?
— Ben… Je me disais que je pourrais venir chez toi et nous pourrions aller dans ta chambre et là, tu pourrais glisser ton dildo dans mon pocket pussy. Ensuite, on les laisserait faire leur petite affaire pendant que dans la pièce d’à côté, on prendrait le thé en discutant esthétique et philosophie… qu’est-ce que tu en dis?
— J’en dis que le romantisme n’est pas tout à fait mort.
-
Quatre-vingt-deux.
Pendant que je me fais besogner dans un garage mal éclairé par un motard hirsute, Nicolas mastique nonchalamment son sandwich, sans même prendre la peine de regarder. Le candaulisme, c’est bien surfait.
-
Quatre-vingt-un.
J’avais répondu à l’annonce de Pierre-André pour sa soirée bukkake un peu par curiosité, un peu par défi, avec en tête l’idée que de toute façon, ce genre de chose ne se concrétise jamais et finit toujours par tomber à l’eau.
Pendant qu’il raccompagne les participants vers la porte, je suis dans sa salle de bain pour me rincer de tout ce foutre. Sur le rideau de douche, de petits animaux rigolos multicolores… Ikea, je crois.
Pas de doute : dieu est mort.
-
Quatre-vingt.
C’était une de mes pires peines d’amour. Michel m’avait réconfortée, serrée dans ses bras, il m’avait écoutée patiemment sans rien demander en retour, si bien que lorsque mes larmes furent finalement séchées, je me suis dit qu’une pipe était bien le moindre des remerciements. Au moment de jouir, il m’a demandé de ne pas avaler ; il m’a ensuite longuement embrassée.
Personne ne m’a jamais aussi bien consolée depuis.
-
Soixante-dix-neuf.
Soir de solitude sourde et amère. Je retrouve, glissé entre les pages du cahier incarnat, un tract anarchiste m’enjoignant en anglais à m’abstenir de voter lors du scrutin fédéral de 1997. Au verso, écrit à l’encre violette d’une main tremblante : « Je t’aime. Appelle-moi : 776-96… ». Si les deux derniers chiffres étaient lisibles, je crois que je l’appellerais – même après toutes ces années, même si je n’ai aucune idée de qui il s’agit.
-
Soixante-dix-huit.
Tous les rêves qu’elle me raconte se déroulent dans un monde sans ordure, sans déjections, sans anus. Un monde lisse, parfait, souriant — ce sourire froid qui nous épouvante tous.
-
Soixante-dix-sept.
La nuit dernière, j’ai été drôlement punie par mon inconscient pour avoir entretenu des pensées impures et discriminatoires envers les personnes de petite taille. J’ai rêvé que j’étais atteinte de nanisme et qu’on me promenait en laisse dans un parc. Bien vite, je me suis fait saillir par des « individus défavorisés verticalement, mais favorisés horizontalement » ; leurs propriétaires, confus, s’excusaient auprès de ma maîtresse.
-
Soixante-seize.
J’espère ne pas mourir sans avoir la chance de m’adonner ne serait-ce qu’une seule fois au triolisme avec un couple de nains bien membrés.
(Je m’excuse à l’avance si vous trouvez que la phrase qui précède est capacitiste. Vous avez raison, mille fois raison. J’ai failli écrire « un couple d’individus défavorisés verticalement, mais favorisés horizontalement », mais auriez-vous compris ?)
-
Soixante-quinze.
J’ai encore des sueurs froides à la pensée de ce rêve étrange.
Couchée sur le dos, les cuisses toutes grandes ouvertes, je fais l’amour avec un homme filiforme qui, au moment de jouir, se retire et se met interminablement à éjaculer sur mon ventre. Au plaisir du début succède rapidement sur son visage une expression de profonde douleur et de panique. Il se ratatine littéralement à force de gicler jusqu’à ce qu’il ne reste de lui qu’un petit sac de peau et un globe oculaire. Par je ne sais quel miracle, il réussit quand même à me dire : « ça valait le coup ».
-
Soixante-quatorze.
Rêve : je déambule dans un monde figé. Tous les hommes sont nus, beaux, souriants : prêts. Je butine, me penche, suce un peu ici et là, et m’empale, pour finir. Les policiers accourent, je crois que je vais me faire arrêter, mais non, ils se désapent eux aussi et semblent réclamer leur dû. Je me réveille en sursaut, complètement dégoûtée ; il faudra que j’explique à mon inconscient qu’il ne doit sous aucun prétexte prendre l’expression « fuck the police » au pied de la lettre.
-
Soixante-treize.
Rêve étrange. Je suis sur la scène d’un théâtre qui ressemble à celui où ma mère m’amenait quand j’étais petite pour voir des pièces pour enfants. Un homme se présente, habillé comme un Monsieur Loyal de cirque. Il explique au public (que je ne vois pas) le déroulement du spectacle ; tous pourront, chacun à son tour, me demander de faire à peu près n’importe quoi — les sucer, les branler, les laisser me cracher dessus, pisser ou éjaculer sur moi, ou par terre et me demander de lécher. Il est toutefois interdit de me toucher, sous peine de mourir foudroyé, calciné, dans les convulsions atroces.
Une première participante qui monte sur la scène est la papesse, l’arcane II du tarot. Elle demande à ce que je sois clouée sur la table où l’on servira le dîner. La pensée que mes sous-vêtements ne sont pas propres me réveille en sursaut.
-
Soixante-douze.
J’ai rêvé que l’impératrice, l’arcane III du tarot, s’était insinuée dans mon esprit et avait pris le contrôle de mon corps. J’avançais dans le corridor, nue et majestueuse, la main posée sur le pubis comme sur un coussin d’hermine. Arrivée au balcon, parmi les vivats et la liesse, je me suis branlée vigoureusement avec mon sceptre incurvé, aspergeant la foule de cyprine se transformant en papillons mordorés, en étincelles aveuglantes.
Au matin, en buvant mon café, je constatait que mon post de la veille avait reçu mille likes.
-
Soixante-et-onze.
Je suis une frénétique du rêve érotique. Je crois avoir baisé en rêve avec tous ceux que j’ai croisés dans ma vie — même le cadavre de mon colocataire que j’ai a retrouvé pendu.
-
Soixante-dix.
J’ai rêvé qu’un amant avait oublié son sexe au fond du mien. Prise de panique, j’ai composé le 911 et l’opératrice m’a dit de sauter sur mon lit pour le faire tomber. C’est donc ce que j’ai fait et j’avais l’air d’une belle dinde – d’ailleurs au bout du fil j’entendais toutes les employées des services d’urgence rigoler. Moi, ça ne me faisait pas rire du tout, surtout que cette saloperie de bite a commencé à s’agiter en moi, d’abord lentement puis plus de plus en plus vite. J’ai fini par rouler sur le lit en gémissant et en jouissant terriblement.
Je me suis réveillée dans un cri, en nage, avec une grosse envie de pisser.
-
Soixante-neuf.
J’ai rêvé cette nuit que j’étais de retour à la fac, dans une chambre de résidences, ou alors dans un auditorium, mais peut-être aussi sur la pelouse devant le pavillon principal. Étendus langoureusement sur des coussins autour de moi, une douzaine de jeunes gens charmants, aux cheveux courts et à la peau pâle et parfumée, se caressaient nonchalamment entre eux.
— Dis, tu nous racontes une histoire ? me demanda l’un d’eux avant porter à sa bouche le gland de son camarade.
— Oui ! Une histoire ! ajoutèrent les autres en chœur.
Souriante, un peu confuse, je détournai le regard en essayant désespérément de trouver quelque chose à leur raconter.
J’ouvris les yeux et je vis que la neige entrait par la fenêtre fatiguée de ma chambre.
-
Soixante-huit.
Toujours le même rêve.
La nuit, à peine le sommeil appesantit mes paupières, ils viennent me réveiller en sursaut, me menacent, me tiennent des propos obscènes, grimpent sur moi, portent leurs mains impures sur les parties les plus secrètes de mon corps. La chair est faible, je cède et me livre avec eux aux jouissances de l’amour ; leurs sexes bifides m’épuisent et me laissent anéantie de fatigue. Ces démons fornicateurs m’apparaissent tantôt sous forme d’éclairs, tantôt sous forme de garçons jolis et pervers qui étalent à mes yeux leurs nudités et m’écrasent leurs excréments à la figure.
-
Soixante-sept
Un rêve.
Elle revient du donjon en me disant qu’elle a été bien punie. Je lui demanderais bien par qui et pourquoi, mais je sais qu’elle me dira « parce que j’ai fait des bêtises ». Or, punitions et bêtises se ressemblent par leur répétition jusqu’à l’insupportable. Je suis quand même curieuse, alors je lui demande :
— Et puis ? Qu’est-ce qu’ils t’on fait ?
— Ils m’ont arraché une dent… regarde !
Elle ouvre la bouche, l’étire avec deux doigts. Je vois un trou béant, sanglant. Je suis à un doigt de tourner l’œil.
— Mais regarde donc ! Ils me l’ont fait à froid, ce fut une terreur délicieuse !
Il y a du sang partout. L’insupportable : la nausée. Et vomir, vomir ce qui me reste d’humanité.
-
Soixante-six.
Elle tapote du doigt la page du cahier incarnat et me dit :
— Ton rêve, celui du fragment soixante-cinq… c’est l’inconscient colonial de l’occident qui te le chuchote à l’oreille.
— Hein ? De quoi tu parles ?
— La ville qui recouvre la planète entière, c’est l’impérialisme auquel nul n’échappe. Et toi, tu es celle qui exploite ce monde en toute impunité, parce que « rien ne t’appartient », mais tu prends tout à ta guise, comme si ça te revenait de naissance. Ça, c’est l’essence même du colonialisme.
— Ben là… c’est surtout une fantaisie sexuelle. Celle de ne jamais me faire dire non.
— Justement. On ne dit jamais non à bwana quand on est colonisé, dépouillé de tout, soumis et humilié. Tu as lu Portrait du colonisé de Memmi, non ? Et puis, le colonialisme est aussi sexuel ; les petits blancs qui débarquent chez les indigènes sont convaincus que l’univers gravite autour de leur sexe. Ils n’hésitent pas à exploiter les corps comme on exploite une mine ou une plantation – sans aucun souci de ce qui arrivera après leur départ.
— Es-tu en train de me dire que mon fantasme est raciste?
— En gros… oui. Tu es peut-être woke quand tu es éveillée, mais tu ne l’es certainement pas quand tu dors.
— Ah la la. On ne peut plus rien rêver.
-
Soixante-cinq.
Cette nuit, j’ai encore fait le même rêve où tous les hommes de l’univers connu sont à ma disposition.
Je suis libre de mes mouvements, j’erre dans une ville immense – une ville qui m’est familière, qui recouvre la surface de la terre. Il y fait chaud, les gens portent des vêtements d’été, mais moi je suis toujours nue, rasée, épilée, prête à tout. Lorsque j’ai faim, j’entre dans une maison, n’importe laquelle, et l’on me nourrit. Je pisse et défèque n’importe où, comme les chiens. Je dors où le sommeil me prend. Je n’ai pas de maison. Rien ne m’appartient en propre, mais le monde est à moi.
De temps en temps, un homme se présente, il me plaît, alors je le prends par le bras, je l’entraîne dans une maison ou sur un banc de parc ou bien encore dans l’escalier de marbre d’un quelconque bâtiment public. Là, je profite de son corps comme bon me semble, comme on fume une cigarette en s’adossant au mur, dans la chaleur tranquille de midi. Il leur est évidemment interdit de se refuser à moi – d’ailleurs il semble que ça ne leur traverse jamais l’esprit de dire non à quoi que ce soit. Une fois que j’ai bien joui ou que j’en ai eu assez, nous échangeons quelques mots, parfois des caresses et des baisers, mais jamais bien plus. Ils retournent vaquer à leurs occupations et moi, je me remets à faire ce que je fais le mieux : me contenter de vivre.
Chaque fois que je fais ce rêve, je ne croise ni n’aperçois aucune femme. C’est pour moi une évidence qu’il n’existe pas dans ce monde d’autres créatures pourvues de seins et de cette fente toujours humide à la naissance des jambes. La planète toute entière tourne autour de mon sexe ; des météores s’y précipitent en hurlant, c’est l’horizon des événements, la surface de non-retour qui avale tout à proximité. Des faisceaux de neutrinos la défoncent à chaque fraction de seconde. L’axe du monde passe par le centre de mon vagin, à égale distance des parois brûlantes.
-
Soixante-quatre.
« Monsieur, j’aimerais vraiment palper votre bite. Ça n’est pas que vous soyez particulièrement séduisant, mais — c’est bête — la couleur et la texture de votre pantalon font terriblement envie. »
-
Soixante-trois.
Dans la salle de bain d’Alex, j’étais accroupie et cherchais un gant de cuisine au fond du panier à linge sale. Je l’ai entendu entrer et s’approcher derrière moi. « Ne bouge pas… retire seulement ton tee-shirt et son soutien-gorge… » m’a-t-il dit à l’oreille. Il s’est ensuite branlé jusqu’à ce que son sperme coule sur mon dos, dans mon jean, entre mes fesses. Puis nous avons entendu du bruit ; je me suis rhabillée prestement et je suis allée rejoindre nos amis au salon.
Plus tard dans la soirée, je n’ai su que répondre à une amie qui m’a complimentée en me demandant quel parfum j’utilisais.
-
Soixante-deux.
— Pourquoi le sperme devient-ils froid si rapidement sur la peau?
— Peut-être parce que Thanatos suit toujours Éros de près.
-
Soixante-et-un.
Fatou a une peau d’encre de chine et sur la fesse un jet de sperme, comme une signature.
-
Soixante.
— Je ne garde les cheveux longs que pour la fellation. Le seul intérêt de la tignasse est qu’on l’empoigne pour moduler les mouvements de la tête.
— Et pour le cunnilinctus ?
— La chevelure est sans importance. Pire : elle est un embarras.
— Je viens soudainement comprendre pourquoi tu ne dates que des butchs.
-
Cinquante-neuf.
Notre jeu préféré : la poupée gonflable. Elle fait la poupée, moi je fournis les rutines et la pompe.
-
Cinquante-huit.
Steve, mon amant d’un soir semble être capable de rebander à volonté et je lui demande quel est le secret de sa virilité inépuisable.
« Y’a pas de secret, gamine. S’il faut être dur pour revenir après être venu, alors je me dis que je suis aussi bien de ne venir qu’après y être retourné, comme ça, je peux revenir et je fais moins dur. Autrement dit, quand un homme est venu, c’est qu’il était dur, et même s’il veut revenir, il faut qu’il redevienne dur encore pour ne pas faire dur alors il essaie d’aller et venir pour que son viendu revienne et ça, c’est vraiment dur, même pour un dur de dur comme moi.»
Je crois que je lui reposerai la question lorsque son sang aura reflué de sa queue vers son cerveau.
-
Cinquante-sept.
J’explique mon cas au physiatre : « J’ai mal au coccyx, avec tous les coups de queue que je prends dans le derrière… »
Il se tourne, griffonne sur son bloc, puis me tend une prescription sur laquelle je lis : « La patiente se limitera au sexe oral et ira dorénavant embêter un oto-rhino-laryngologiste ».
-
Cinquante-six.
Rencontré un charmant bibliophile. À voir la façon dont il caressait ses livres, je regrettais de ne pas être moi aussi recouverte de cuir.
-
Cinquante-cinq.
J’aime la littérature érotique car c’est la seule qui permet de prendre le contrôle du corps de la lectrice et du lecteur. Ne sentez-vous pas ce picotement, cette chaleur étrange entre vos cuisses ? Ce sont mes mots qui vous caressent.
-
Cinquante-quatre.
Je suis fétichiste du pied, mais la plupart du temps je me contente de six pouces.
-
Cinquante-trois.
J’aime quand la rencontre d’un soir s’étire jusqu’au matin. J’aime qu’on m’encule au petit jour quand la mouille est encore chaude dans la rencontre de mes jambes et que s’écarte la fenêtre béante et que m’avale la ville qui vibre dans la canicule. Dehors, un motard passe en vrombissant, au même moment que le rythme de la pénétration accélère. Mes seins morts écrasés sous moi, je hurle à la lune pâlissante comme une chienne enragée et je m’égare dans les dernières ténèbres de la nuit.
Plus tard, nous ferons connaissance. Plus tard, nous ferons l’amour et nous nous aimerons peut-être, mais pour l’instant, il décharge et me branle, son foutre bat derrière mes tempes et moi, remplie de lui, j’attends l’extase et que le soleil levant me fasse renaître.
-
Cinquante-deux.
Chaque fois que je prends un amant, je perds un lecteur. C’est à croire que les hommes n’arrivent à me lire que les couilles pleines.
-
Cinquante-et-un.
Si j’étais hétéro, je crois que je me forcerais à coucher avec des filles, juste pour emmerder les MRA, les incels, les fascistes et les monothéistes zélotes.
-
Cinquante.
Il s’appelait Rodrigue et c’était notre premier rendez-vous. Nous avions fini la soirée chez moi, alors j’avais pris la responsabilité de briser la glace, puisque nous étions sur mon terrain. Sourire coquin aux lèvres, je lui fis un striptease, puis m’abandonnai dans ses bras. Il enleva sa chemise et je découvris une énorme tache de naissance brune, presque noire, poilue, qui partait de son épaule gauche et rejoignait son nombril. On aurait cru un loup-garou qui aurait suspendu sa transformation. Mon visage devait trahir ma stupeur, car il me dit aussitôt :
— Ça te dérange, hein…
— Quoi ? Qu’est-ce qui me dérange ?
— Mon grain de beauté.
Il ne me serait jamais venu à l’esprit de qualifier ainsi cette protubérance…
— Oh ça? Mais pas du tout… on le remarque à peine…
Il n’eut pas l’air convaincu. Je m’installai alors dos à lui, à quatre pattes sur le lit, et lui dit :
— Vas-y, prends-moi comme une bête.
-
Quarante-neuf.
La messagerie de Tinder, cette cour des miracles.
Jonathan trempe sa queue dans le miel pour me récompenser, comme on le fait avec la tétine d’un bébé — devrais-je craindre le botulisme?
-
Quarante-huit.
J’ai abandonné mes cours de danse sociale quand on m’a fait comprendre qu’il est inconvenant, pendant la valse de Vienne, que la valseuse vienne.
-
Quarante-deux.
Nathan jouit dans la bouche de mon amant en jurant ; il s’y enfonce complètement. Mon amant manque de s’étouffer ; la bite ramollit comme si elle se vidait dans ses poumons. Voilà à quel genre de spectacle on s’expose pour avoir une vie conjugale bien remplie.
-
Quarante-et-un.
— As-tu déjà eu ça, toi, un orgasme vaginal?
— Tu veux dire avec la queue seulement? Sans jouet et sans mains?
— Ouais. Un orgasme magique, rien dans les mains, rien dans la poche, tout dans la plotte.
— Ha! T’es folle. Oui, ça m’est arrivé. Une fois, y’a sacrément longtemps.
— Ça s’est produit comment ?
Elle prend une gorgée de bière, se cale dans son fauteuil, puis soupire.
— Je fréquentais ce gars qui était pas mal nul au lit. Ne ris pas! Je veux dire, il n’était vraiment, – mais alors vraiment – pas doué. Quand il était bandé, c’était « écarte tes cuisses poupée que je te la mette », suivi d’une trentaine de secondes de va-et-vient frénétique, puis merci bonsoir il est parti. Pas de préliminaires, pas de postliminaires. Après quelque temps, j’avais même abandonné l’idée d’être excitée.
— Pourquoi ne l’as-tu pas tout simplement envoyée paître vite fait bien fait?
— C’est ce qui a fini par arriver. Je suis quand même restée avec lui quelques mois, c’était un gentil garçon… En tout cas. C’était un samedi matin et, à peu près chaque heure, il voulait remettre ça.
— Sérieuse?
— Je te jure. Il tirait vite, mais il le faisait à répétition… on n’avait tous les deux que vingt ans, hein. Ça faisait déjà trois fois qu’on le faisait depuis le petit déjeuner et j’étais là, couchée sur le dos, à attendre qu’il finisse et pensant à rien en particulier et puis BANG! v’là-t’y pas que j’ai un orgasme. Comme ça, venant de nulle part.
— C’est fou.
— C’était juste un tout petit orgasme, mais un orgasme quand même.
— Qu’est-ce qu’il a dit?
— Rien. Il ne l’a jamais su. J’ai pensé le lui dire, mais… je trouvais que ça faisait malaise.
— Ça faisait malaise que tu lui dises que tu avais joui ?
— Non. Ça faisait malaise que je lui dise que je n’avais pas joui toutes les fois d’avant.
— Ah, je vois.
Elle reprit une autre gorgée de bière, puis, après un long silence, demanda :
— Et toi? Ça t’est déjà arrivé?
— Non, jamais. Jusqu’à il y a cinq minutes, je pensais que c’était un mythe.
— Qu’est-ce qu’il pouvait être dans le champ, Freud, quand même.
-
Quarante.
Cent plis de peau où l’odeur de ton foutre s’incruste et se répand tout autour de moi comme une aura obscène qui me suit partout.
-
Trente-neuf.
Chaque année je me promets que ce sera la dernière. Je jure devant dieu et les hommes que je ne serai plus jamais le dindon de la farce grotesque manigancée par les fleuristes, qu’on ne m’y prendra plus à participer à cette arnaque rose fluo qu’est la Saint-Valentin. Et portant, encore une fois, j’ai succombé. Prise de sueurs froides en regardant le calendrier, je me suis arrangée pour avoir un rendez-vous le soir du 14 février. Vous viendrez ensuite me raconter que le libre-arbitre est autre chose qu’une chimère.
J’ai donc réactivé en soupirant mon compte sur Okcupid dans l’espoir un peu fou de me trouver une date pas trop pitoyable, qui s’est présentée en la personne d’un certain Mathieu de Masson-Angers. Ses messages étaient exempts de fautes d’orthographe, alors je me suis dit qu’il méritait une chance. Je l’ai donc laissé choisir le restaurant où il m’attendait, à la date et à l’heure dite, une rose à la main. Sa photo de profil ne mentait pas : il avait la trentaine dégarnie du toupet et bien garnie du bide, le complet d’un correspondant parlementaire et le sourire 3D White. Quant à sa conversation, elle était aussi intéressante qu’une soirée passée à zapper entre des info-pubs et des reprises du Jour du Seigneur. De l’entrée au dessert, il a été pédant, satisfait de lui-même – et à la fin, carrément insupportable.
Alors qu’il finissait de gober sa crème caramel en parlant la bouche pleine, je me suis dit qu’il fallait que je saute de ce navire en perdition. J’ai donc ramassé ce qui me restait de dignité et je me suis levée. Me voyant faire, il a bredouillé :
— Euh… Anne ? Tu…
— Je pars, mais je dois d’abord faire un arrêt au petit coin. Ça te dirait de m’accompagner ?
Il est devenu soudainement pâle comme un drap.
— C’est que… je ne fais jamais l’amour au premier rendez-vous.
— D’accord, mais baiser au dernier, pas d’objections ?
Il était trop tétanisé pour répondre. J’ai donc fait quelque pas en direction des toilettes ; quand je me suis retournée, j’ai vu qu’il laissait des billets sur la table en tentant de camoufler la bosse dans son pantalon. Lorsqu’il a poussé la porte, je retouchais mon rouge à lèvres, penchée au-dessus du lavabo. Il s’est approché, hésitant. Je l’ai attrapé par la cravate et l’ai entraîné dans une cabine. Nous nous sommes embrassés avec empressement et j’ai défait sa ceinture pendant qu’il s’escrimait avec les boutons de mon chemisier. Dès que sa bite s’est pointée de son caleçon, ce fut trop pour lui : il a éjaculé à grands traits en éclaboussant ma jupe.
— Anne je m’excuse, c’était juste trop… euh… tu sais… a-t-il bredouillé, d’un air franchement contrit.
— Ça va, ne t’inquiète pas, c’était une mauvaise idée.
Il s’est rebraguetté à la hâte et a fui sans demander son reste (ou mon numéro de téléphone). Encore une Saint-Valentin qui tournait en poisson d’avril.
Je suis donc retournée dans mon demi-sous-sol en soupirant, car je savais exactement ce qui m’y attendait.
En ouvrant ma porte, j’ai d’abord aperçu, alanguie sur mon fauteuil préféré, une rousse filiforme à la peau laiteuse constellée de taches de rousseur. Elle avait les cuisses largement écartées et se taquinait le clito avec ma brosse à dents vibrante. Il faudra d’ailleurs que je pense à la remplacer. Juste à côté, un homme incroyablement poilu et obèse portant une cagoule rose en latex se faisait fister jusqu’au milieu de l’avant-bras par un minet au au regard angélique. Sur le divan, une beauté sombre au bord de l’apoplexie allaitait deux barbus rondouillards et bandants qui semblaient enfin avoir trouvé leur bonheur. Le tout dans une pénombre fleurant le fauve et remplie par les cris de ménade des partouzeurs.
Dans la cuisine, il y avait la dame de la bibliothèque qui léchait la fente recouverte de crème fouettée de ma conseillère municipale. C’est bon de constater de visu à quoi servent nos taxes foncières. À côté d’elles, un échalas se branlait en sacrant comme un humoriste de la relève. Préférant ne pas rester au premier rang (pour ne pas me faire arroser), j’ai enjambé tant bien que mal les corps enlacés qui encombraient le couloir pour me rendre jusqu’à la porte entrouverte de ma chambre.
Au son des craquements du lit et des halètements, j’ai su que j’allais surprendre Jessica, mon amoureuse, en pleine séance de pince-mi pince-moi. Je n’ai pas été déçue : elle était couchée sur le dos au sommet d’un monticule d’oreillers et se faisait fourgonner la voie sodomique par le camelot du Devoir. De chaque côté d’elle, le voisin d’en haut et celui d’en face relevaient ses genoux pour faciliter la pénétration. Le visage de Jess était écarlate et luisant se sueur; de sa bouche crispée sortait une série de cris en staccato, entrecoupés de hoquets étouffés. Autour du lit, une demi-douzaine de quidams à poil zieutaient la scène et attendaient sagement leur tour. Ils se polissaient nonchalamment la trique en échangeant propos grivois et épithètes fleuries.
Jess a joui lorsque je me suis arrivée près du lit. Retenue fermement par mes deux voisins, elle s’est tordue de plaisir, le dos voûté, dans une longue plainte hululante. Elle s’est ensuite effondrée, entraînant avec elle ses camarades de jeu pour former un tas informe de chair collante et repue. Je me suis approchée d’elle et, dégageant de mon index les cheveux humides de son front, je lui ai susurré à l’oreille :
— Allô ma chérie, je suis de retour.
Elle a ouvert les yeux et m’a souri faiblement, puis, après avoir repris son souffle, a annoncé à la ronde :
— Ok tout le monde. Pause pipi !
Les mâles ont un peu ronchonné, mais l’ont quand même aidé à se relever. Elle s’est rendue en claudiquant à la salle de bain où elle m’a fait une bise aussi tendre que parfumée de foutre avant de me demander :
— Alors, mon amour, le grand rendez-vous romantique ? Ça s’est bien passé ?
— Pas trop. Il était ennuyeux comme la pluie et éjaculateur précoce par-dessus le marché.
Elle a fait cette moue boudeuse qui me fait toujours craquer et, toute de miel, m’a dit :
— Ne t’en fais pas, trésor, tu vas finir par le rencontrer, le prince charmant qui t’amènera sur son blanc destrier souper chez ta mère.
Le cœur qui chavire et une larme au coin de l’œil, je l’ai embrassée de nouveau, avant de lui dire :
— Ma chérie, c’est vraiment toi la dernière des romantiques.
-
Trente-huit.
Chaque soir, je me couche sur le ventre, le popotin bien relevé, et offre ma cible à la flèche de cupidon. Hélas, c’est rarement la Saint-Valentin.
-
Trente-sept.
« Viens chez moi, je serai ton étui pénien. »
Étrangement, la phrase n’a pas l’effet de séduction escompté.
-
Trente-six.
Au restaurant, en compagnie de mon amoureux et d’un couple rencontré sur internet. La femme du couple me propose un jeu :
— Tu suces mon mec, je suce le tien ; la dernière qui avale le foutre a perdu et paye l’addition.
— Comment ça s’appelle, ce jeu ? La roulette prépuce ?
(Je n’ai pas accepté le défi parce que j’avais peur que son chum soit un peine-à-jouir, alors que je sais que le mien gicle au moindre frôlement. Les dés auraient alors été pipés.)
-
Trente-cinq.
En me draguant, Kevin me fait des clins d’œil et me montre la bosse dans son jeans. Je suis déçue de constater qu’il ne s’agit pas de son porte-monnaie.
-
Trente-quatre.
« Je ne suis pas un simple objet sexuel… » me dit François, les yeux baignés de larmes, avant d’ajouter : « … et je le déplore ».
-
Trente-trois.
Louis me savonne les seins et semble y prendre un plaisir tel que l’envie me prend de la laisser seul avec eux quelques minutes.
-
Trente-deux.
Après avoir lu plusieurs pages du carnet incarnat, elle me regarde en faisant une moue dégoûtée.
— Tu n’aimes pas ça ?
— Ce n’est pas que je n’aime pas ça… c’est du Anne Archet tout craché, avec tout ce que ça comporte d’humour et de provocation. C’est juste que… enfin… tout ce sperme… ça me donne la nausée.
— Venant de la part d’une lesbienne enceinte aux prises avec de fortes nausées matinales, c’est une réaction que je comprends parfaitement…
— Je ne crois pas que les filles straight tripent tant que ça non plus sur la dèche… J’aimerais vraiment comprendre ce qui t’attire tant là-dedans.
— Tu veux que je t’explique une attirance ? Tu penses que c’est possible ? Pour vrai ?
— Je ne sais pas… dis-moi au moins quel effet ça te fait.
— Ben… le sperme m’excite terriblement. Pour vrai. Je ressens quelque chose de très fort quand je vois ou sens le sperme sortir d’un pénis. Je sais que ça peut sembler réducteur, mais quand je baise avec un homme, c’est seulement la bite qui m’intéresse. Tout ce qu’il y a autour me déconcentre.
— « Ce qu’il y a autour »… tu veux dire, la personne avec qui tu t’envoies en l’air ?
— Oui. C’est ce que j’aime surtout chez les hommes : leur queue – et surtout, ce qui en sort.
— Wow. Y’a pas à dire, l’hétérosexualité est un humanisme, han… Tu l’as déjà dit à ton chum ?
— Je dis « les hommes » dans un sens purement sexuel, han.
— Bien entendu.
— J’aime bien que mon partenaire m’éjacule sur les seins, parce que ça veut dire que la bite est vraiment proche de mon visage, que je vais pouvoir tout voir avec une grande clarté. Ça me fascine. J’aime aussi l’odeur, le goût du sperme, sa texture… ça me rend folle. D’ailleurs, quand je regarde de la porn – presque toujours gay –, je vais souvent directement à la fin du film pour ne voir que l’éjaculation.
Elle soupire.
— Je ne me serais pas attendue que tu sois spermophile.
— C’est parce que j’aime manger des graines, han.
— Évidemment. Ce n’est pas un fantasme de bouffeuse de chatte…
— Non, tu ne comprends pas, c’était une blague. Spermophile. Graine.
— Euh… ?
— Les spermophiles, appelés écureuils terrestres… les rongeurs de la famille des sciuridés… qui aiment les graines.
Elle lève les yeux au ciel.
— À bien y penser, ta passion pour le sperme est beaucoup moins dérangeante que celle que tu as pour les jeux de mots foireux.
-
Trente-et-un.
— Qu’est-ce que tu fais-là ?
— En voilà une drôle de question ! Qu’est-ce qu’on fait d’autre au glory hole ? Je suce des queues.
— C’est que… je n’ai jamais croisé une femme ici.
— Il y a un début à tout, faut croire. Alors ? Tu la glisses dans le trou, que je fasse ma part du travail ?
— C’est que… moi, je suis venu aussi pour sucer. Je ne baisse jamais mon slip.
— Et moi je ne suis malheureusement pas dotée d’un pénis. Je n’ai donc rien à t’offrir non plus… belle impasse, n’est-ce pas ?
— Tu pourrais changer de cabine, tout simplement.
— J’étais ici la première, je te ferais remarquer.
— Je suis ici tous les vendredis soirs depuis presque deux ans, alors…
— Wow. Quelle constance… je suis impressionnée.
— Pffff. Niaise-moi donc.
— Je suis sincère, je t’assure.
— Alors ?
— Alors quoi ?
— Tu laisses ta place à une personne pourvue d’une bite ? Je n’ai pas que ça à faire, moi, discuter : j’ai des couilles à vider.
— Seulement si je peux te payer un verre, ensuite.
* * *
Quelques heures plus tard, je suis assise au bar et je recueille les confidences de Samaël, l’archange du glory hole.
« Enfant, je me souviens avoir entendu mon père d’avoir traité les individus qui fréquentent les glory holes de « poubelles humaines »» après avoir découvert leur existence lors d’un reportage télé. Pourtant, il y a pire comme choix de vie… prends ma sœur, maintenant qu’elle est mariée à son trouduc d’homme des cavernes pour qui elle pond des morveux en série… En tout cas. Si mon père savait que sa propre progéniture, le sang de son sang, fréquente ce lieu de perdition, il en ferait sûrement une syncope. Pffff. Qu’il crève, l’ordure.
« En ce qui me concerne, il y a longtemps que j’ai fait la paix avec moi-même. Que j’ai cessé de m’en faire avec ce que la société s’attend de moi. Ma bouche n’a pas de sexe, elle n’est ni mâle, ni femelle, alors le queutard qui se trouve de l’autre côté de la cloison peut bien s’imaginer ce qu’il veut. Ma bouche est chaude, bien baveuse et l’efficacité de ma succion est incomparable. J’en retire une certaine fierté, je dois bien l’admettre. Gay, straight, ça n’a aucune importance pour moi… alors pourquoi ça leur en ferait une, à eux ?
« Ils viennent d’ailleurs tous à moi, sans exception, lorsque, un condom entre les doigts, je les appelle sans mot dire à travers le trou. Je suis l’orifice de leurs rêves, la gorge invisible et qui ne s’étrangle jamais, dans laquelle ils viennent coulisser de bonheur. Je n’ai pas de visage – non, ce n’est pas vrai, j’en ai un, mais il se limite au contour de mes lèvres. Ils ne me connaissent que par ma puissance fellatrice ; je les connais par la forme et par la taille de leur engin, mais c’est surtout par leur odeur que je reconnais mes préférés. J’imagine leur surprise s’ils pouvaient voir qui je suis réellement. Je rêve d’un avenir meilleur, d’un monde où je pourrais, à visage découvert et sans peur de la mort, avaler tout ce qui gicle devant moi. Je suis sincère, c’est vraiment ma seule ambition amoureuse.
« En attendant, j’ai vingt-deux ans et mon cœur, béant comme un glory hole, est ouvert. »
-
Trente.
Devant moi, Simon se finit « à la mitaine », selon sa propre expression. Il y va si fort, avec tant de hargne, que j’ai peur qu’il s’arrache le sexe. On dirait qu’il s’acharne sur une bouteille de ketchup presque vide pour en extraire quelques malheureuses gouttes.
-
Vingt-neuf.
Myriam laisse de sa bouche presque close couler épais filet de salive. Je tends la main et lèche ma paume. Le flash d’une caméra nous aveugle ; je ne peux m’empêcher de penser que le sperme est beaucoup plus photogénique.
-
Vingt-huit.
Chaque soir (ou presque), Étienne éjaculait sur mes fesses quand je somnolais devant la télé. Ensuite, il nettoyait le tout, d’abord avec sa langue, ensuite avec des lingettes humides qu’il gardait près de son fauteuil pour cet usage spécifique.
La routine de la vie conjugale hétérosexuelle a ses bons côtés, quand on y pense – mais seulement lorsque le partage des tâches est clair et explicite.
-
Vingt-sept.
Puceau et dépressif, j’ai sucé Hugues par compassion bien que ce fut assez fort en goût — je crus même vomir au moment crucial — en me sentant comme mère Theresa au mouroir de Kaligat.
Je vais mourir en odeur de sainteté (surtout si ladite odeur s’avoisine de celle du slip usagé).
-
Vingt-six.
« Je ne peux pas me lever tant que je n’ai pas éjaculé… »
Je m’exécute en maugréant — j’ai une vie à l’extérieur du lit, moi.
-
Vingt-cinq.
« La poésie, c’est ça. C’est toi. » me dit-il avec tendresse, après avoir couvert mes joues de foutre.
-
Vingt-quatre.
Mathieu me demande si ça me dérange qu’il éjacule sur mon visage. Accepter de se faire déranger — n’est-ce pas là l’essence de l’érotisme ?
-
Vingt-trois.
Léo m’invite à un bukkake chez lui, mais le soir venu, il est seul. Je suis repartie chez moi déçue et à peine humectée.
-
Vingt-deux.
De retour de ses courses, Alice me fait la bise. J’étais gênée par son haleine, jusqu’au moment où j’ai remarqué que sa bouche sentait le sperme.
-
Vingt-et-un.
L’épaule constellée de gouttes de sperme, un peu sur le visage aussi, et sous mes fesses une flaque de mouille impressionnante, je soupire en pensant aux draps qu’il faudra encore laver.
-
Vingt.
« Assieds-toi… là », dit-il en pointant son sexe de l’index.
J’applique donc du lubrifiant sur ma fente et j’enfourche sa pine bien dure d’avoir été branlée longtemps, avec application. Évidemment, ce salaud décharge aux premiers coups de boutoir – alors furieuse, je lui écrase mon con au visage pour qu’il boive tout son foutre avant de me faire jouir.
-
Dix-neuf.
« Sperme, chaque soir. Faute de quoi je peux m’endormir, prescription du médecin. »
Il n’a pas tenu une semaine, le pauvre chéri.
-
Dix-huit
J’aime bien le sperme, sa texture, son odeur. C’est très excitant. Ce qui me dégoûte, c’est imaginer tous ces spermatozoïdes grouillants… je crois que l’éducation sexuelle déficiente que j’ai reçue à l’école, principalement faite de vieux films documentaires datant des années soixante-dix, est à blâmer.
-
Dix-sept.
Écoute, ne le prends surtout pas mal, mais tu pourrais nous laisser seuls un moment, ton pénis et moi ?
-
Seize.
— « Carnet incarnat »… ça sonne étrangement comme « Carnet écarlate ». C’est une suite ?
— Une suite décousue de textes, oui.
— Je veux dire : une suite à ton premier livre ?
— En quelque sorte. Avec en prime d’innombrables pénis déversant des rivières de sperme.
-
Quinze.
Dans le Faculty lounge du département d’histoire, je prends le thé avec Flora qui vient d’être nommée à une tenure track position.
— Au coin de Bloor et de Queen’s Park, j’ai vu un pavillon qui porte une curieuse inscription: «Faculty of Houshold Sciences»… lui dis-je en déposant ma tasse.
— L’édifice abrite aujourd’hui les bureaux de l’ombudsman de l’Ontario, me répond-elle. Au début du XXe siècle, presque toutes les étudiantes de l’University of Toronto y étaient inscrites ; en plus d’apprendre la cuisine, la couture et l’éducation des enfants, elles y venaient pour rencontrer un bon parti sur le campus.
— Des temps heureusement révolus ! dis-je sur le ton de l’évidence.
Silencieuse, elle regarde la fenêtre d’un air mélancolique, puis soupire :
— J’ai étudié jusqu’à l’âge de trente ans. Je suis célibataire, sans enfants, je suis locataire, je n’ai pas de char et je viens tout juste de me trouver du boulot. Ma vie sentimentale est un désert : tous mes collègues sont soit des femmes, soit des fossiles en fin de carrière. Si c’est ça le progrès…
— Je peux savoir ce que tu proposes comme solution ?
— C’est pourtant simple : il faut rouvrir la faculté des sciences ménagères et n’y admettre que des hommes, murmure-t-elle, rêveuse.
-
Quatorze.
Attache-moi nue sur un lit d’inquiétude et je claquerai contre ton corps, brûlante comme un fouet. Enfonce tes doigts dans mon cul, fais-moi chavirer avec de tes hurlements d’amour, jusqu’à ce que, barbouillée de déjections et d’immondices, saturée de plaisir jusqu’à la nausée, je crie « Quo vadis Domine ! » avant de m’endormir la tête en bas, les bras en croix, clouée vive – et morte en odeur de sainteté.
-
Treize.
J’ai léché ton oreille offerte comme un sexe et branlé d’un doigt tendre les replis confus de ta chatte. Tu vibres encore des assauts maladroits du mâle qui t’a prise et couverte de rage, qui t’a enduite de ta propre mouille pour mieux glisser sur tous tes tremblants épidermes et te laisser vagir comme un animal blessé sans t’achever. Puis j’ai fourré mon nez dans les cent plis de peau où j’ai senti sa présence, comme un souvenir obscur et inavouable.
Laisse-moi me frotter longtemps contre toi, à m’en brûler la langue et toutes mes chances ; je m’insinuerai dans tes muqueuses éplorées et patiemment j’en gommerai le moindre des souvenirs de tous ceux, de toutes celles que tu as croisés avant moi.
-
Douze.
À la table d’à côté, deux amoureuses et leurs baisers répétés, mous, sonores, comme une mauvaise ponctuation dans une carte de souhaits Hallmark.
-
Onze.
Je sonne à l’heure convenue, il ouvre la porte et à peine est-elle refermée, il me plaque contre le mur, relève ma jupe et, profitant que je ne porte pas de culotte, pose le bout de sa queue contre ma vulve, puis ne bouge plus. Bien sûr, nous ferons connaissance par les yeux, par les mains et par le contact de nos peaux. Peut-être effleurerai-je ses lèvres. Peut-être respirerai-je les muscs de son torse pendant qu’il flattera mes fesses ou, s’il est audacieux, glissera dans mon anus un index impatient. Peut-être finira-t-il par me pénétrer, mais pour l’instant, il ne fait rien de tout ça. Il reste contre mon vestibule dans son vestibule.
-
Dix.
Métro particulièrement bondé. Ce jeune homme plaqué tout contre moi, son sexe contre mes fesses. Il n’ose pas bouger — et moi non plus. Il faudrait qu’on fasse minimalement connaissance avant de vivre nos transports en commun.
-
Neuf.
Entrevue annuelle de rendement. Tout allait merveilleusement bien jusqu’à ce que la peau de son prépuce se coince sur mon appareil dentaire.
-
Huit.
Ma copine France-qu’est-Française m’a traité de pouf parce que j’ai sauté dans l’avion uniquement pour aller me faire sauter à L.A., uniquement pour que tu me foutes sur ton canapé. Mais je m’en fous, même si maintenant je sais qu’elle ne me traitait pas de pièce de mobilier.
-
Sept.
Après le souper, Heather m’a pris par la main et m’a amenée dans sa chambre. Nous étions couchées en cuillères et le silence était à couper au couteau. C’est alors que je sentit sa main s’immiscer entre mes cuisses. « Fork me, fork me good » lui susurrai-je en glissant mes doigts dans ses cheveux, derrière ma nuque.
-
Six.
Invitée hier chez une dame pour qui j’ai fait du babysitting il y a quelques années. Sa fille, que j’ai connue alors qu’elle avait encore la couche aux fesses, a maintenant treize ans et semble si précoce qu’elle donne des maux de tête à ses parents.
— Ça ne doit pas être facile de vivre dans la crainte du VIH et des grossesses indésirées… avançais-je prudemment.
— Non, répondit sa mère. Elle, c’est… comment dire… les objets. Tous les objets.
Rêveuse, je laissai mon regard parcourir la pièce, s’arrêtant sur chaque bibelot en le considérant sous un angle inédit.
-
Cinq.
On n’a pas tous les jours quarante ans. Je portais ce soir-là une robe au décolleté plongeant et nichée entre mes seins, une perle en pendentif comme une goutte de sperme congelée. « Alors ? Quelle est ma surprise ? » demandai-je à mon amoureuse, fébrile, sans savoir que quarante inconnus m’attendaient dans la pièce d’à côté.
La suite, vous le devinez, m’a laissée baba.
-
Quatre.
C’était ma première session au cégep et j’étais assise sur les marches de l’escalier du collège pour prendre un peu d’air. Sur le trottoir, quelques pages arrachées d’une revue porno baignaient à moitié dans une flaque d’eau, dont une photo en très gros plan d’une vulve ouverte à tous les vents. Impassible, je mastiquai mon sandwich en comptant les passants qui ralentissent le pas, les yeux rivés sur le sol. C’est à ce moment précis que je me suis dit que j’étais devenue assez blasée pour être dorénavant considérée comme une adulte.
-
Trois.
Pendant que mon amoureux se fait baiser par son amant d’un soir, je regarde par la fenêtre sa camionnette garée devant chez moi sur laquelle on peut lire : « Robert Guay, Ramonage ». Ah la la… qu’est-ce que les voisins vont dire?
-
Deux.
Ma blonde et ma maîtresse ont fini par se rencontrer. Le cul bien calé dans le fauteuil, je me taquine le clito en observant leurs ébats. Elles se caressent mutuellement, tendrement. Espérons que ça ne se terminera pas avec du sang, des lambeaux de chair et de cartilage.
-
Un.
J’ai retrouvé le cahier incarnat dans un tiroir, caché sous des bouts de ficelle et de chandelles, des stylos à l’encre séchée depuis belle lurette, des fils d’appareils électroniques que je n’ai probablement plus et des tas d’autres trucs non-identifiables. Devrais-je le laisser là pour qu’on le retrouve dans quelques années en même temps que mon cadavre à moitié bouffé par mes chats ?
